Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, livre son analyse sur les relations entre l’Algérie et l’Espagne ainsi que sur l’impact sur le Maroc de la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara occidental.
Ce diplomate est bien placé pour évoquer les relations algéro-espagnoles pour avoir été ambassadeur d’Algérie à Madrid et pour avoir fait partie, d’une génération qui s’est fortement investie pour l’édification d’une relation stratégique entre les deux pays.
« Aujourd’hui, les choses ont changé » et la confiance est « perdue » ainsi que l’aspect stratégique de la relation qui n’a plus « l’importance qu’elle avait acquise dans les années 1970 », déplore Abdelaziz Rahabi dans une longue interview au journal espagnol El Independiente, où il parle aussi de l’impact de la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara occidental sur le comportement du Maroc avec ses voisins.
Cela est d’autant plus vrai depuis le revirement historique du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez sur la question du Sahara occidental, il y a presque deux ans jour pour jour, le 18 mars 2022.
Cette nouvelle position de l’Espagne, qui reste « la puissance administrante du Sahara occidental » et qui continue de ce fait d’avoir « une responsabilité historique » dans l’occupation de ce territoire par le Maroc, signifie que le pays « a perdu sa force et son statut de puissance modératrice » et « a choisi le statut de n’importe quel autre pays européen », juge Abdelaziz Rahabi.
Une position qui fait perdre « tout son poids » à l’Espagne « dans la recherche d’une solution acceptable pour toutes les parties au conflit » et que le diplomate trouve « étrange », ajoute l’ex-ambassadeur d’Algérie à Madrid.
« À ce jour, nous n’avons aucune explication. Le gouvernement algérien n’a pas reçu d’explication officielle sur la question, hormis ce qui a été publié dans la presse espagnole et la lettre adressée au roi du Maroc », dit-il.
Abdelaziz Rahabi relève aussi le double standard par rapport au droit international du président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, « capable d’aller à Rafah et de dire qu’Israël viole le droit international humanitaire et soutient la solution à deux États, mais il va à Rabat et n’applique pas ce même discours au Sahara » occidental.
Tout en reconnaissant à Madrid le droit d’avoir « les meilleures relations avec le Maroc », Abdelaziz Rahabi précise que l’Algérie ne regarde pas ses relations avec l’Espagne à travers le prisme des relations entre celle-ci et le royaume de Mohamed VI. « Nous avons notre récit des relations entre l’Algérie et l’Espagne, l’histoire de nos relations bilatérales », dit-il.
Abdelaziz Rahabi pointe le chantage du Maroc et analyse les relations entre l’Algérie et l’Espagne
« En raison de la position de chantage des États-Unis à travers la reconnaissance d’Israël en échange de la reconnaissance du Maroc sur le Sahara occidental (…) cela a donné au Maroc le sentiment que le chantage est possible avec tout le monde, c’est un gros problème », analyse Abdelaziz Rahabi, en allusion aux événements qui ont précédé le revirement espagnol.
Avant la décision de Madrid de changer de position sur le Sahara occidental, les relations entre le Maroc et l’Espagne étaient caractérisées par un froid glacial.
En mai 2021, plus de 8.000 migrants marocains ont pris d’assaut à la nage l’enclave espagnole de Ceuta, ce qui a provoqué une grave crise entre les deux pays. Moins d’un mois après, l’Union européenne a dénoncé le chantage migratoire du Maroc et moins d’une année plus tard, en mars 2022, l’Espagne a changé radicalement de position sur le Sahara occidental, en s’alignant sur les positions marocaines, ce qui a irrité l’Algérie.
Pour Abdelaziz Rahabi, l’Algérie ne cherche pas une relation privilégiée avec l’Espagne mais des « relations de coopération, d’intérêts mutuels et de respect » et surtout « durables ».
Malgré la crise actuelle qui a fait qu’il n’y a « quasiment plus de relations entre l’Algérie et l’Espagne », rien n’est définitivement perdu et la « reconstruction est toujours possible », estime-t-il.
Pour retrouver sa neutralité active dans le dossier du Sahara occidental, l’Espagne doit seulement « admettre que le plan marocain d’autonomie est une option parmi d’autres », ajoute Abdelaziz Rahabi.
C’est ce qu’a fait Pedro Sanchez avec son discours devant l’Assemblée générale des Nations-Unies en septembre et qui a « beaucoup plu » en Algérie, rappelle Rahabi. Néanmoins, Sanchez n’a pas tenu les mêmes propos lors de sa visite à Rabat en février dernier.
Le diplomate algérien relève comme « un fait important » que malgré la crise, « l’Algérie a respecté tous ses engagements envers l’Espagne en matière d’approvisionnement en gaz » et que, « en aucun cas le chantage au gaz n’a été évoqué ».
En dépit de tout ce qui s’est passé ces deux dernières années, en Algérie « nous continuons à avoir beaucoup de respect et d’affection pour l’Espagne et son peuple », indique Abdelaziz Rahabi, expliquant que la position d’un gouvernement « ne représente pas toute l’histoire ».
« Je reste optimiste quant au fait que l’Algérie et l’Espagne ont encore des possibilités d’améliorer leurs relations et de reconstruire quelque chose de solide sur tous les sujets, pas seulement sur le gaz », estime le diplomate algérien.
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