C’est un gros scandale d’espionnage de données personnelles impliquant notamment le Maroc que viennent de révéler le journal français Le Monde et seize autres rédactions de nombreux pays.
Ces médias ont eu accès à une liste de plus de 50 000 numéros de téléphone ciblés par Pegasus, un logiciel espion israélien, pour le compte d’une dizaine d’Etats.
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Le Maroc est cité en bonne place parmi les Etats qui détournent l’usage du logiciel à des fins de surveillance de l’opposition et des voix critiques. Les journalistes sont particulièrement ciblés, y compris étrangers. Des journalistes français et même algériens sont concernés.
L’entreprise israélienne NSO, qui a développé le logiciel, le vend depuis 2011 comme outil destiné uniquement à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé mais il s’avère que beaucoup de clients, des Etats principalement, ne l’utilisent qu’accessoirement contre le terrorisme et grand banditisme.
Dans l’annuaire partagé par Forbidden Stories et Amnesty International et auquel les 16 médias ont eu accès, il y a parmi les cibles un chef d’Etat et deux chefs de gouvernement européens, des hommes et des femmes aux plus hauts échelons du pouvoir d’une ex-République soviétique, des dizaines de députés de l’opposition d’un pays africain, des princes et des princesses, des chefs d’entreprise, quelques milliardaires, des ambassadeurs, des généraux. Il y a surtout des centaines de journalistes, d’avocats et de militants des droits de l’Homme.
« NSO répète depuis des années que les cas de surveillance politique sont des incidents isolés. Les informations que Le Monde et ses partenaires publient, à partir du 18 juillet, dans une série de révélations programmées tout au long de la semaine, prouvent de manière incontestable que ces abus sont la norme et non l’exception », écrit Le Monde.
Le journal va plus loin et considère le logiciel et l’entreprise qui le développe comme un outil du soft-power israélien et ont pu contribuer à la restauration des relations diplomatiques de l’Etat hébreu avec de nombreux pays.
« Les activités de NSO éclairent, en partie, les rapprochements récents de l’Etat hébreu avec l’Arabie saoudite, la Hongrie ou le Maroc », estime le journal français. Le Maroc a normalisé ses relations diplomatiques avec Israël en décembre dernier, en échange de la reconnaissance par les Etats-Unis de sa souveraineté sur le Sahara occidental occupé.
Au Maroc, ce sont les journalistes critiques du pouvoir qui sont particulièrement visés. Parmi eux, Taoufik Bouachrine, directeur du journal Akhbar Al-Yaoum, qui a été condamné à quinze ans de prison pour « viol » et dont le procès avait été considéré comme « politique ».
Figurent aussi dans les cibles potentielles du programme, les plaignantes dans le cadre du même procès ainsi que quelques témoins. Le Monde rappelle qu’une partie des témoins à charge s’étaient rétractées avant d’être « contraintes par la police de produire de faux témoignages ». Deux d’entre eux au moins ont été sélectionnés dans le logiciel d’espionnage.
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Des journalistes algériens et français espionnés par les services marocains
Outre ces deux journalistes, les services marocains ont aussi visé tous les responsables des médias indépendants critiques, comme Ali Amar, fondateur du Desk, ou Hamid El-Mahdaoui, d’El Badil, qui a été condamné en 2018 à 3 ans de prison dans le sillage des événements du Rif. Le Monde cite aussi Omar Brouksy, ancien correspondant de l’Agence France-Presse et auteur de deux livres critiques sur Mohammed VI et les relations franco-marocaines.
Beaucoup de journalistes étrangers sont également touchés. France-Info parle d’une sélection de numéros visés par les services marocains « qui ne concerne pas qu’un journaliste, mais bien 10 000 numéros, essentiellement marocains, algériens et français ».
On ne sait pas quels sont les journalistes algériens visés, mais des noms de journalistes français et d’autres nationalités sont cités.
Il y a le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, visé peu après avoir publiquement critiqué la répression policière des manifestations du Rif, et le polémiste Eric Zemmour. « On ne peut pas accepter qu’un pays considéré comme ami espionne des journalistes, des directeurs de journaux, et utilise cet espionnage pour réprimer ses propres journalistes et dans des conditions effroyables », a réagi Edwy Plenel.
« Malheureusement je ne suis pas étonné », a réagi le journaliste espagnol Ignacio Cembrero quand il a été informé qu’il faisait partie des personnes espionnées, racontant qu’en juin, des informations issue d’une conversation WhatsApp qu’il avait eue avec deux personnes se sont retrouvées dans la presse.
Pegasus n’est pas un simple outil « d’écoute téléphonique ». « Particulièrement efficace et puissant », il peut aspirer l’ensemble des données contenues dans un téléphone, depuis les photographies ou les carnets d’adresses jusqu’aux messages échangés sur des applications, pourtant sécurisées, comme Signal ou WhatsApp.
Le journal explique comment cela fonctionne : « Invisible pour l’utilisateur du téléphone, ce logiciel peut être installé à distance, sans que la cible ait même besoin de cliquer sur un lien malveillant, et en toute discrétion, en s’appuyant sur des failles de sécurité dans les logiciels d’Apple et de Google, que ces géants ne corrigent pas toujours assez vite. »
D’autres révélations seront faites tout au long de la semaine et d’autres pays risquent d’être épinglés.