TRIBUNE. Un problème bien posé est à moitié résolu. H. Bergson.
Dans le langage courant, le chaos désigne un état de désordre total. L’absence de sens et la perte de la raison d’être collectif sont souvent au fondement de l’exacerbation des contradictions, ouvrant la porte aux crises.
Dans l’ordre géopolitique mondial actuel, le chaos exprime l’insécurité, la destruction et l’imprévisibilité ; les règles établies, en s’effondrant, laissent place à l’inconnu.
Cependant, philosophiquement, le chaos symbolise également, sur un autre registre, un espace créatif, une origine où tout est possible avant une formalisation d’un ordre nouveau.
En effet, le mot « chaos » provient du grec ancien khaos, qui signifie « ouverture béante » ou « abîme ». Dans la mythologie grecque, le Chaos est une entité primordiale, considérée comme l’origine de l’univers. Il représente un état indéfini, sans ordre ni forme, existant avant la création du cosmos organisé. La science d’aujourd’hui le décrit par le concept de plasma primordial des premières phases du Big Bang.
Dans l’ordre géopolitique, le chaos fait penser au champ de bataille, lorsque la violence se déchaîne (se libère de ses chaînes) faisant écho aux démons de l’homme dont les pulsions peuvent mener aux pires dérives.
S’inquiétant de la nature intrinsèque (ontologique dirait le philosophe) de l’homme, les anges n’avaient-ils pas émis une interrogation devant le Créateur ? « Etabliras-Tu là celui qui y répandra la corruption et fera couler le sang… ? » Coran, S II, V30.
Dans son monumental Guerre et Paix, Tolstoï considéra la guerre comme une force chaotique et inhumaine. Il montra l’absurdité et la cruauté des conflits, où les décisions des dirigeants semblaient dérisoires face au destin collectif.
Il y critiqua les illusions de grandeur des dirigeants, qu’il dépeigna comme insignifiants devant le cours des événements et interrogea la liberté individuelle face à la fatalité historique. Ses personnages oscillaient entre la quête de sens et la soumission à des forces qu’ils ne comprenaient pas.
Pourquoi toutes ces guerres depuis la nuit des temps sauvages ? Pourquoi l’affection, la solidarité et l’entraide entre tous les membres de cette humanité sont-elles remplacées par la volonté de domination, de spoliation et d’exploitation ?
Pourquoi ces guerres incessantes engagées au nom de la civilisation et des valeurs ?
L’ordre mondial est entré dans sa phase de déliquescence
Aujourd’hui, l’ordre mondial, patiemment construit depuis des siècles et surtout après la Seconde Guerre mondiale, est entré dans sa phase de déliquescence et de désordre (donc de non-ordre !).
Si le XXe siècle a été une horreur, le XXIe a déjà montré qu’il peut être pire. Pourquoi ces conflits meurtriers en Ukraine, en Russie, au Congo, au Soudan, au Yémen, en Irak, au Liban, en Syrie et ailleurs ?
Pourquoi le génocide de Gaza ? Pourquoi ces souffrances indicibles d’innocents au nom d’une idéologie qui s’octroie les vertus de la suprématie d’un peuple supposé élu par Dieu ? Vraiment, Dieu, le Créateur du monde serait donc enclin à discriminer Ses créatures ? À offrir des terres promises aux uns et à vouer à l’enfer terrestre les autres ?
Est-ce Dieu dans Son infinie sagesse, Son omnipotence et Son omniscience qui incite au désordre et au chaos ou bien est-ce seulement Ses créatures dans l’exercice de leur liberté qu’Il leur a attribué se laissent dominer par leurs démons, par leur égo ?
Le message de Dieu qui nous a été révélé s’est peu à peu transformé en religions des hommes. Depuis la nuit des temps, les hommes ont aimé le pouvoir, la domination, la possession des êtres et des biens. Ils ont alors construit des systèmes de gouvernance, puis des États, puis des Empires. Les plus forts étendant encore leurs tentacules, le plus loin possible, pour se nourrir des plus faibles, de leurs richesses relatives sinon de leur… âme.
Méfiants les uns des autres, les groupes humains, d’abord familiaux, puis tribaux et enfin en nationaux, s’érigèrent en structure de défense, les uns contre les autres. Ils organisèrent leur sécurité. Ils mirent alors en place un ordre social et des règles sanctionnant celles et ceux qui les transgressaient.
Peu à peu, les pouvoirs se sont consolidés. Dans de permanents conflits, les uns se sont nourris des autres, jusqu’à atteindre une taille critique pour régenter des territoires et se les approprier.
Des États ont ainsi été érigés. Puis avec l’extension de leur domaine, ils avalèrent de nouveaux territoires, de nouveaux peuples, se transformant ainsi en Empire. Dès le début de l’ère historique, entre 5000 et 3000 ans avant notre ère, les premiers Empires se constituèrent déclenchant alors la dynamique des civilisations. Le jeu des « grands » avait commencé.
À suivre… Réflexion 2 : Les Empires et la Résistance.
*Président du parti Jil Jadid.