La baisse des prix du pétrole s’inscrit dans la durée et la nouvelle ne pouvait pas plus mal tomber pour les autorités algériennes. Avec à peine 35 dollars le baril ce lundi, on est 45% en-dessous des 60 dollars retenus comme prix de marché du pétrole dans la Loi de finances 2020. Pour le gouvernement, c’est sans doute le pire des scénarios.
Toutes les autres prévisions contenues dans le texte étant indexées sur le prix sur les marchés mondiaux des hydrocarbures, quasiment la seule ressource du pays en devises et qui fournit près de la moitié des recettes du Trésor public, c’est toute la santé économique et financière du pays qui se retrouve face au risque de soubresauts aux conséquences imprédictibles.
Les prévisions de la LF 2020, déjà loin d’être optimistes, devraient être revues à la baisse. Les répercussions de cette chute des prix qui semble de plus en plus inexorable seront mathématiquement inévitables et proportionnelles au manque à gagner pour nombre d’indicateurs, soit les recettes des exportations, le volume de la fiscalité pétrolière, le déficit de la balance des paiements, le déficit budgétaire et le niveau des réserves de change.
C’est aussi l’échéance de la fonte totale du matelas de devises qui s’en trouve rapprochée, avec quasiment aucune alternative en perspective pour financer les importations, sinon celle de recourir de nouveau à l’endettement extérieur et son corollaire, le diktat des institutions financières internationales.
La chute des prix a été entamée simultanément à la propagation du coronavirus chinois et ses répercussions sur la croissance de ce pays et de l’économie mondiale, mais elle est devenue plus inquiétante depuis ce week-end avec l’incapacité des pays de l’Opep et de la Russie à se mettre d’accord sur une baisse de la production pour endiguer la baisse des cours.
A partir d’avril prochain, ni l’Opep ni les autres pays producteurs n’auront l’obligation de faire des coupes dans leur production. Pour la première fois depuis plusieurs années, l’un des derniers mécanismes de régulation des prix n’a pas fonctionné.
Un accord semblable à ceux qui ont permis ces dernières années de maintenir les prix à des niveaux acceptables n’est certes pas exclu dans les prochains mois, mais en l’état actuel des choses tous les indicateurs plaident pour une baisse plus accrue des cours : la croissance chinoise et mondiale qui freine et qui ne reprendra pas avant de longs mois, les pays producteurs qui ne s’entendent pas, l’hiver qui s’achève et le schiste américain qui se fait plus compétitif et, pour ne rien arranger à la situation, l’Arabie saoudite qui lance une guerre des prix inédite depuis 20 ans.
Une marge de manœuvre plus que réduite
Si les cours maintiennent leurs niveaux actuels –ce qui demeure un scénario extrêmement optimiste, des analystes voient le Brent à 26 dollars – l’Algérie bouclera l’année avec un trou plus abyssal dans ses finances publiques et moins de réserves de change dans ses caisses. Le gouvernement dispose encore d’un outil juridique pour intervenir, soit l’élaboration d’une Loi de finances complémentaire, mais sa marge de manœuvre est plus que réduite au vu de la situation politique interne et du bouillonnement du front social.
Une coupe dans le train de vie de l’Etat induirait inévitablement des licenciements massifs dans la Fonction publique et, au vu de la structure actuelle des importations, d’éventuelles restrictions n’auront d’effet réel sur la facture que si elles touchent les produits de consommation de base (céréales, lait, médicaments…) et les équipements industriels.
De telles mesures auraient le double effet d’attiser le mécontentement social -qui viendrait se greffer à une contestation politique ingérable- et d’affaiblir davantage le tissu industriel, déjà rachitique et mis à mal par la gestion à la hussarde entamée lors de la période de transition et qui semble toujours en vigueur. Cela, au moment où l’investissement étranger demeure réticent, jusque dans les hydrocarbures malgré les concessions généreuses faites dans le cadre de la nouvelle loi régissant le secteur. C’est connu, le capital ne s’aventure presque jamais dans les contrées politiquement instables.
Les choix douloureux, le gouvernement aura l’option de ne pas les faire à l’occasion de l’élaboration de la LFC au mitan de l’année, mais il lui sera plus difficile de les éviter dans la loi de finances pour l’exercice prochain, encore moins lorsque, si les indicateurs actuels ne bougent pas, il ira solliciter la bourse des institutions internationales. A moins que, d’ici là, la Providence ou quelque séisme majeur dans la géostratégie internationale aura inversé la tendance des cours pétroliers.