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Le plongeon du pétrole et le coronavirus faussent les calculs du gouvernement

Le plongeon du pétrole et le coronavirus faussent les calculs du gouvernement

La Loi de finances 2020 étant dépassée pour des raisons à la fois politiques et économiques, la préparation d’une Loi de finances complémentaire est au programme du gouvernement algérien depuis le début de l’année en cours. Dans sa conception initiale, elle était censée servir de cadre au déploiement de la nouvelle politique économique souhaitée par l’Exécutif tout en concrétisant les promesses du président Tebboune.

Rattrapée malheureusement par des urgences inédites et un « choc externe violent », au cours des dernières semaines, particulièrement depuis le début du mois de mars, la confection d’un budget crédible par l’Etat algérien s’est avérée un exercice de plus en plus compliqué. La chute brutale du prix du baril à laquelle s’est ajoutée l’épidémie de coronavirus, avec ses conséquences désastreuses sur l’économie nationale, a faussé tous les calculs.

Pas étonnant dans ces conditions que l’examen d’une Loi de finances rectificative par le Conseil des ministres ait été renvoyé, le 22 mars dernier, à des jours meilleurs et une conjoncture moins agitée.

Il faut dire que depuis qu’ils sont entrés en fonction, le président Tebboune ainsi que son gouvernement n’ont pas été servis par la chance. Retour sur un premier trimestre très chargé en rebondissements et en mauvaises surprises économiques pour le pays.

Au mois de janvier, le chef de l’État estimait encore : « La situation financière du pays n’est pas critique, il y a une certaine amélioration. Les recettes fiscales augmentent et il y aura d’autres mesures. »

Très optimiste, le président affirmait aussi : « Le dinar connaît à présent un frémissement et nous avons même une légère stabilité des réserves de change, nous espérons la voir se consolider à la fin de ce trimestre. »

Le choc du plongeon des cours pétroliers

Depuis le début du mois de mars, le changement de décor et de ton est complet. « Face à une conjoncture qui reste difficile, l’État dispose des moyens nationaux pour faire face » : c’est par un communiqué aux accents martiaux que dans la soirée du mardi 10 mars, la présidence de la République tentait de rassurer l’opinion nationale choquée par l’effondrement des prix pétroliers.

Dès le lendemain du « lundi noir » qui avait vu le prix du baril plonger de 30 % pour tomber depuis à moins de 30 dollars, le président Tebboune convoquait dans l’urgence une « réunion extraordinaire » d’une grande partie de l’exécutif dans le but de procéder « à l’évaluation de la situation économique à la suite de la chute drastique du prix du baril de pétrole sur le marché international ».

Le ton était donné par le Président qui invitait les membres du gouvernement à résoudre ce qui s’apparente à une véritable quadrature du cercle en « prenant toutes les dispositions qui s’imposent pour juguler les effets de cette conjoncture adverse sur l’économie nationale sans que le citoyen ne soit en aucun cas touché ni dans son revenu, ni dans son quotidien ».

Le résultat le plus concret de cette « réunion extraordinaire » devait être la confection « immédiate » d’une Loi de finances complémentaire qui devait maintenir globalement les engagements électoraux du président.

Pas un mot sur une éventuelle dévaluation du dinar. Le président rejetait également « de manière ferme le recours à l’endettement extérieur et au financement non conventionnel ».

Le virage économique du 22 mars

Entre-temps les prix pétroliers ont continué de plonger et la crise, selon la quasi-totalité des spécialistes nationaux et étrangers, promet de durer, voire même de s’aggraver au minimum au second trimestre voire jusqu’à l’année prochaine. Les mesures annoncées apparaissent rapidement comme très insuffisantes. Le dimanche 22 mars, le président Tebboune convoque un nouveau Conseil des ministres. Au menu, toujours les conséquences de l’effondrement des prix pétroliers sur l’Algérie. Mais cette fois les décisions qui sortiront de ce Conseil sont bien différentes.

En un peu plus d’une semaine, l’Exécutif a complètement changé son fusil d’épaule à propos des conséquences de la crise pétrolière sur l’économie du pays.

Même si le mot n’est pas encore prononcé, il s’agit de mettre en œuvre des mesures dignes d’une véritable « économie de guerre ». Outre des objectifs fortement révisés en baisse en matière d’importation ainsi qu’en ce qui concerne la stratégie de Sonatrach, les décisions annoncées le 22 mars visent à imposer une véritable cure d’amaigrissement au budget de l’Etat en « réduisant les dépenses de fonctionnement de 30% sans toucher aux salaires et aux charges ».

Le coronavirus rebat les cartes

Malgré l’ampleur exceptionnelle de ces premières mesures, le gouvernement n’est pourtant pas encore au bout de ses peines et c’est à un nouveau changement de décor qu’on assiste de façon accélérée depuis la fin du mois de mars.

Au choc provoqué par la chute brutale des cours pétroliers viennent désormais s’ajouter les conséquences de la pandémie de coronavirus qui complique considérablement la tâche de l’Exécutif.

Comment réduire drastiquement les dépenses du budget de l’Etat au moment précis où les gouvernements du monde entier font exactement le contraire et sont lancés, à coup de centaines de milliards de dollars, dans une lutte éperdue pour enrayer les conséquences, non seulement sanitaires mais aussi de plus en plus économiques, de la pandémie « quel qu’en soit le coût » pour les finances publiques ?

La « situation va rapidement devenir intenable » estimait début avril l’économiste Mouloud Hedir : « Dans l’immédiat, la question qui se pose est celle de la résilience de notre système économique et de sa capacité à faire face à cette crise sans précédent avec le minimum de dégâts possibles ».

Pour cet expert, « la sauvegarde du tissu économique existant, et d’un minimum de pouvoir d’achat des couches les plus vulnérables de la population, commande le passage obligé par des mesures plus audacieuses que celles jusque-là retenues.

Selon lui, « la politique économique doit vraiment changer de braquet face au tsunami qui pointe à l’horizon ».

Quelle réponse budgétaire pour la crise du coronavirus ?

La période qui s’est ouverte depuis le début avril pose désormais à l’Exécutif de nombreuses questions auxquelles il est invité, de façon tout à fait inédite dans notre histoire économique, à répondre globalement dans la Loi de finances complémentaire en préparation.

La première concerne la nature et l’ampleur de la réponse budgétaire qu’il devra apporter à la situation de crise économique créée par l’épidémie de coronavirus.

Dans ce domaine, la pression monte au cours des dernières semaines et des voix de plus en plus nombreuses invitent le gouvernement à agir rapidement d’autant plus que de nombreux pays voisins ont déjà adopté des dispositifs de prévention.

Le think tank algérien Care, qui réclame une intervention « rapide et massive » de l’Etat, résumait les principaux enjeux en soulignant au début du mois d’Avril : « L’urgence des mesures de soutien et de sauvegarde que les autorités algériennes doivent apporter à nos entreprises, sous peine d’une dégradation avancée d’une grande part de notre tissu économique ».

Le 11 avril, Care récidivait en invitant cette fois le gouvernement à mettre en place rapidement un « revenu Covid 19 » au profit des travailleurs du secteur privé pénalisé par les conséquences de la crise sanitaire. Les experts de Care estiment qu’une aide financière directe pourrait être versée à près de 5 millions de travailleurs privés de revenus au cours de la période actuelle et chiffrent le coût d’une telle mesure à près de 150 milliards de dinars.

Quelles conséquences pour le déficit budgétaire ?

Dans un contexte d’incertitude qui touche aussi bien les prix pétroliers que les dépenses futures de l’Etat, on imagine facilement les difficultés considérables auxquelles sont confrontés les concepteurs de la prochaine Loi de finances.

La plupart des analyses publiées au cours des dernières semaines en Algérie comme à l’étranger s’accordent néanmoins pour prévoir une aggravation sensible du déficit des finances publiques nationales au cours de l’année 2020.

En mars dernier, avant même la crise du coronavirus, le Crédit Agricole, qui se présente comme le premier groupe bancaire européen, notait dans la dernière publication de sa revue Perspectives : « avec un prix de marché de 60 dollars le baril, le budget de l’État algérien pour 2020, tel que prévu dans la loi de finances, prévoyait déjà un déficit de 7% du produit intérieur brut (PIB), tandis que le déficit du Trésor était estimé à 11,4% du PIB. Le prix du pétrole étant divisé quasiment par deux, ces déficits internes risquent d’atteindre des niveaux sensiblement plus élevés ». Le pronostic du groupe bancaire français évoque un déficit budgétaire qui « pourrait se situer pour l’année 2020 entre 10 et 15 % du PIB ».

Entre dévaluation du dinar et planche à billets

La question du financement d’un déficit des finances publiques qui s’annonce considérable et de l’ordre de 2500 à 3000 milliards de dinars soulève déjà beaucoup de questionnements.

Dans une contribution rendue publique ces derniers jours les universitaires algériens Boucekkine et Meddahi, présents dans le débat économique public national au cours des dernières années, estiment que « notre pays ne doit rien s’interdire. Y compris le financement monétaire comme partout ailleurs dans le monde ».

Ils proposent la mise en œuvre d’une nouvelle variante de financement du déficit grâce à une ponction massive sur les réserves de la Banque d’Algérie.

« La Banque d’Algérie pourrait distribuer un dividende exceptionnel au Trésor d’un montant qui peut atteindre 1 500 mds DA (7,25 % du PIB de 2019).

En effet, la Banque d’Algérie possède dans ses provisions 1 500 milliards de DA ; ce montant provenant en bonne partie des gains de change réalisés par la Banque centrale », écrivent les deux économistes algériens.

Rien ne semble présager pour l’instant que les autorités algériennes s’orientent dans cette direction. Les sources de TSA indiquent en revanche que le principe d’une dépréciation du dinar aurait été retenu en concertation entre la Banque d’Algérie et le gouvernement. Dans sa version actuelle, qui sera probablement celle retenue par la prochaine loi de finances complémentaire, cette dépréciation du dinar devrait atteindre 10 % en plusieurs étapes au cours de l’année 2020. Il s’agit d’un rythme de dépréciation de la monnaie nationale trois fois plus rapide que celui prévu par la loi de finance 2020 qui annonçait un glissement de 10 % étalé sur 3 années.

Elle aura pour conséquence non seulement de gonfler les recettes pétrolières exprimées en dinar mais également d’augmenter sensiblement les profits exceptionnels réalisés par la banque d’Algérie en permettant une réévaluation de sa contribution au budget de l’Etat.

Face à la taille prévisible du déficit budgétaire, cette dépréciation du dinar risque de se révéler néanmoins très insuffisante.

C’est donc le débat sur le retour de la planche à billets qui risque de resurgir rapidement. On connait pour l’instant la position officielle de l’Exécutif a sur cette question. Elle a été renouvelée le 10 mars dernier par le Chef de l’Etat qui rejetait « de manière ferme le recours à l’endettement extérieur et au financement non conventionnel ».

Depuis le 10 mars dernier les événements se sont accélérés et beaucoup de choses ont changé. La planche à billet tourne déjà à plein régime dans la plupart des pays confrontés aux conséquences de la pandémie de coronavirus. C’est un élément nouveau dans le paysage économique mondial qui pourrait conduire l’Exécutif algérien à réviser rapidement sa position.

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