TRIBUNE. J’ai lu comme tous mes compatriotes la réaction de Monsieur le ministre de la Santé suite à ce qu’on veut nous présenter comme un scoop de l’année à savoir ces 1200 médecins formés en Algérie et qui seraient sur le point de partir exercer en France après avoir été admis au dernier concours de vérification des connaissances de ce pays.
En dehors de l’approximation et la non-vérification de ce chiffre, ce qui est étonnant à plus d’un titre, c’est que tout le monde semble découvrir un fait certes dramatique mais qui existe depuis des décennies.
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Et tout le monde y va de son analyse, médias, réseaux sociaux, personnalités syndicales etc. Et là, il y a une véritable course à qui donnera l’analyse la plus pertinente de ce fléau et un président de syndicat a même avancé que ce départ massif serait dû à l’injustice que subissent les médecins de santé publique par rapport à leurs collègues hospitalo-universitaires !!!
D’autres pensent que c’est parce qu’on forme trop de médecins, ou que les salaires sont trop bas etc … Mais la palme d’or doit à ne pas en douter revenir je crois à Monsieur le Ministre de la santé qui tout de go et après une analyse très pointue a déclaré à ce sujet je le cite.
« Dans les hôpitaux, nous avons un grand nombre de médecins ayant dépassé l’âge de départ à la retraite et qui occupent toujours des postes de travail. Ils ont 75 ans et 76 ans et ils sont toujours en poste et ils ne permettent pas à la nouvelle génération de les remplacer. C’est ce qui fait que nous n’avons pas de nouveaux postes pour cette nouvelle génération de médecins »
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Eureka ! On a trouvé les coupables, il ne reste qu’à installer le gibet. Personne n’y avait pensé avant !!! Hé oui, ce sont des médecins qui ne veulent pas partir à la retraite et qui bloquent des postes qui sont responsables de la fuite de nos médecins à l’étranger !!!
Évidemment sans aucune précision, ni chiffre, on est dans les discussions du café du commerce. Évidemment que cette affirmation d’une légèreté sidérante est complètement fausse et sent à plein nez le populisme et la démagogie.
Monsieur le ministre parle-t-il des hospitalo-universitaires ou de nos collègues de santé publique ?
S’il parle des hospitalo-universitaires, il ne peut ignorer que ce corps dont il fait encore partie à son âge est sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur. Et à cet effet, l’âge de départ à la retraite de ce corps doit être discuté et fixé par ce département et cela au même titre que pour tout le reste des enseignants universitaires, en fonction des besoins du pays en enseignants et en rang magistraux. Ce que Monsieur le ministre de la Santé semble sciemment vouloir occulter.
Si, par contre, il parle de l’âge de départ du poste supérieur de chefferie de service qui dépend de son département, effectivement il posait problème il y a quelques années. Mais ceci n’est plus le cas depuis longtemps, car cet âge où l’on a plus le droit à la chefferie de service a été fixé à 67 ans et cette décision est appliquée à la lettre et je dirai que c’est tant mieux ainsi.
Évidemment que cette exode est un véritable drame qui vide le pays de sa substance grise et des meilleurs de ses enfants, mais penser trouver la solution miracle en stigmatisant une partie du corps médical et en les jetant à la vindicte populaire n’est ni juste ni surtout éthique.
Cette perte dramatique touche toutes les catégories universitaires et toutes les filières. Et c’est un secret de polichinelle de dire que très peu de diplômés préfèreraient rester dans le pays qui les a formés s’ils en avaient le choix.
De plus, une grande partie de notre jeunesse non universitaire n’a malheureusement qu’un seul rêve : quitter le pays et aller vivre ailleurs. Je ne peux oublier ces jeunes de Bab El Oued qui, il y a de cela plus d’une décennie, scandaient tous en cœur au président Chirac en visite officielle en Algérie « Aâtina el visa » sous le regard gêné de Monsieur Bouteflika qui l’accompagnait. A la fois hilarant et triste.
On ne peut oublier aussi ces centaines de jeunes qui préfèrent prendre le risque de mourir noyés que de rester dans leur pays. Combien parmi ces jeunes désespérés rêvant d’une vie meilleure sont morts ? Des dizaines ? Des centaines ? Non. Le mal est profond, complexe et nécessite plus que des affirmations à l’emporte-pièce dénuées de tout fondement.
Non, les gens qui partent des fois au péril même de leur vie veulent plus de liberté, plus de justice, plus de considération, plus d’espoir en l’avenir, de meilleures conditions de travail…
Ils ne veulent plus rester dans un pays qui tourne en rond et continue à se mordre la queue plus d’un demi-siècle après son indépendance. Ils veulent aller là où on les traite selon leur mérite et où ils ont plus de perspectives d’avenir.
Les femmes voudraient pouvoir s’épanouir et tout simplement vivre sans le poids étouffant d’un patriarcat qui s’affirme de jour en jour et qui voudrait les garder dans le statut de mineure à vie.
Les gens partent en quête d’une meilleure qualité de vie. Quand un jeune, qu’il soit diplômé ou non, a le choix entre la mosquée ou la drogue, que voulez-vous qu’il fasse à part rêver de partir vivre ailleurs ?
Quand la culture est absente, peu ou pas de salles de cinémas, peu ou pas de théâtre, peu ou pas de loisirs… Que nous reste-t-il ? Une société où la religion et le football font office de seule voie et culture disponible est une société figée qui ne permet plus à ces enfants de rêver.
Je suis triste pour mon pays et inquiet pour son avenir, mais de grâce, ayons l’humilité de reconnaître la complexité de ce drame et évitons de faire dans l’amalgame, la désinformation et le populisme.
*Professeur de chirurgie pédiatrique (djidjelinacer@hotmail.com)
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