Politique

“Le pouvoir a intérêt à formuler une offre politique sérieuse”

Le politologue Cherif Dris estime que le pouvoir incarné par le chef d’État et son Premier ministre, n’a pas démontré de signes tangibles qu’il veut réellement dialoguer. Il qualifie de signe positif la multiplication des propositions de sortie de crise, notamment au sein de la société civile. Entretien.

Quel a été le principal message des Algériens lors de la mobilisation d’hier vendredi ?

Cherif Dris. Le principal message est, premièrement, un message d’unité. Les Algériens ont démontré qu’au-delà des différences et des divergences, ils restent un peuple uni et soudé. Deuxièmement, que la question du drapeau brandi n’est pas quelque chose qui nous a divisés pour autant. C’est-à-dire qu’il y a des préoccupations plus importantes que de dire que, finalement, il y a un seul emblème national et qu’il ne saurait y avoir d’autre.

À travers les manifestations, les Algériens ont démontré que le fait de brandir l’emblème de l’Amazighité ne saurait être un problème ou un élément de division. Et qu’il y a d’autres préoccupations qui sont plus importantes, notamment la situation politique et leurs attentes en termes de changement.

Je pense qu’à ce sujet-là on a eu une réponse assez suffisante de la part des Algériens qui ont développé une maturité et une prise de conscience certaines quant au fait que brandir un emblème, autre que national, pourrait constituer un danger pour l’unité du pays.

La dialogue politique peine toujours à s’amorcer. Qu’est-ce qui bloque selon vous ?

En fait, il y a deux éléments importants à signaler, l’un ne peut être dissocié de l’autre. Le premier c’est que jusqu’à présent le pouvoir n’a pas démontré de signes tangibles qu’il veut réellement dialoguer ; à part l’institution militaire par la voix du chef d’état-major vice-ministre de la Défense nationale, Gaid Salah dans ses différents messages insiste sur la nécessité du dialogue, de la part du chef de l’État Abdelkader Bensalah et du Premier ministre, Noureddine Bedoui, il n’y a pas d’appel du pied pour dire qu’il est décidé à dialoguer.

Le deuxième élément vient de la société civile qui est en train de s’organiser avec des initiatives par-ci et par là. Même si le travail de structuration demande du temps, il y a des efforts qui sont faits. Les acteurs de la société civile sont dans une phase de rassemblement des forces en essayant de trouver des éléments de convergence pour constituer des pôles à même de leur permettre de s’imposer comme des interlocuteurs si demain un dialogue venait à s’établir. A contrario, de la part du pouvoir, c’est-à-dire le chef de l’État et le Premier ministre, il n’y a pas de signes concrets qu’il y a une volonté réelle de dialoguer. À part l’ANP qui appelle au dialogue mais ne peut pas l’imposer.

Actuellement, on est dans une phase d’attente où chacune des deux parties attend que l’autre fasse le premier pas.

Pourtant, ce ne sont pas les propositions de sortie de crise qui manquent, tant de la part de société civile que des partis de l’opposition. Pourquoi ne sont-elles pas mises en œuvre ?

Pour la simple et bonne raison que le pouvoir n’a pas encore jusqu’à aujourd’hui décliné une réelle volonté de dialoguer. Si dialogue il doit y avoir, il ne s’agira pas de parlementer ou parler seulement. Dialoguer c’est poser les termes d’échanges et des concessions de part et d’autre ainsi que des éléments sur lesquels il faudrait négocier. Or, il y a un consensus au sein des différents pôles, aussi des partis politiques d’opposition que de la société civile pour la société civile qu’un dialogue n’en est pas un s’il ne comporte comme élément de discussion des garanties de transparence telle que la libération des détenus d’opinion, la levée des restrictions sur les libertés individuelles et collectives, le changement de lois notamment sur les associations, etc. Il reste à savoir si le pouvoir est disposé à dialoguer sur la base de ces préalables. Pour l’instant, il n’a pas montré de signes tangibles qu’il a l’intention de négocier sérieusement.

Que pensez-vous des propositions de sortie de crise lancées par la société civile et des partis politiques ?

De telles initiatives sont un bon signe. La pléthore d’initiatives ne signifie pas un quelconque dysfonctionnement, loin de là. Mais c’est plutôt un bon signe qui dénote qu’il y a cette volonté de se structurer et organiser la société civile. Le fait qu’il y ait, notamment à l’occasion de la dernière réunion de la société civile, des gens de différents bords politiques et idéologiques qui s’assoient sur la même table et discutent des propositions de sortie de crise est un autre élément encourageant. Le plus important est d’arriver vers des cadres de convergence sur des éléments communs. Et là je crois que les différents acteurs de la société civile y sont arrivés.

Comment la situation politique pourrait-elle se développer dans les prochaines semaines ?

Il est encore trop tôt pour s’avancer sur le cheminement que prendra la situation politique actuelle. Mais ce que je peux dire c’est que plus le pouvoir tarde à articuler une offre politique sérieuse et à prendre des mesures concrètes pour aller vers un dialogue, plus le peuple élèvera le seuil de ses revendications.

Le pouvoir a donc intérêt à formuler une offre politique plus sérieuse de façon à ce qu’il y ait une solution réaliste à la crise. Par exemple en installant un gouvernement de compétences nationales car il y a une crise de confiance du peuple vis-à-vis du chef de l’État et son premier ministre.

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