Politique

Le pouvoir face à une fronde inédite des magistrats

Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie des magistrats ont manifesté publiquement leur opposition au système en place. Ils ont pris la parole, lors de rassemblements contre le pouvoir, pour réclamer « une véritable indépendance de la justice ».

Ce fait marquant qui restera sans doute dans l’histoire du pays renforce le mouvement populaire de protestation et accentue la solitude dans laquelle se trouvaient déjà les pro-Bouteflika depuis le 22 février.

Lundi, les magistrats de la Cour de justice de Béjaia ont été les premiers à manifester publiquement leur opposition. Ayant rejoint les avocats de la Cour dans un sit-in de protestation contre le cinquième mandat, des magistrats ont brandi des banderoles affirmant qu’ils « jugent au nom du peuple » et demandant que la parole de ce dernier soit respectée. « Non à la violation de la Constitution et à l’instrumentalisation de la Justice pour des visées de pouvoir », ont également inscrit des magistrats sur leurs banderoles. Un message politique à travers lequel ils affichent leur opposition aux dernières décisions du pouvoir, jugées anticonstitutionnelles.

Mardi, au lendemain de l’annonce par la Présidence du report des élections et de la prolongation du quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, une quinzaine de magistrats ont organisé un rassemblement de protestation à la Cour de justice de Tizi-Ouzou.

« Non à la violation de la Constitution », « Le peuple est la source du pouvoir », « Le devoir de réserve tombe devant la dignité de l’Algérie », avaient inscrit les magistrats sur les banderoles qu’ils avaient brandies.

« Notre action d’aujourd’hui n’est pas en violation du devoir de réserve. Notre action a pour objectif d’affirmer que le pouvoir judiciaire est un pouvoir indépendant. Nous avons toujours lutté et nous continuerons de lutter pour le respect du principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Nous jugeons au nom du peuple algérien et le peuple a dit son mot et toutes les institutions de la République doivent respecter la volonté populaire », a déclaré à la presse le représentant des magistrats.

« C’est une première dans les annales de l’histoire de l’Algérie que les magistrats manifestent. Cela traduit leur sentiment profond d’appartenance au peuple algérien et qu’ils jugent au nom du peuple algérien. C’est aussi une marque de leur courage. Ils ont bravé tous le danger et nous avons le devoir de les soutenir », a déclaré Me Bouchachi en marge de ce rassemblement des magistrats et avocats à Tizi-Ouzou.

Hier mercredi, le mouvement des magistrats s’est élargis aux Cours de justice de Boumerdes, Constantine et Guelma. Les magistrats de ces cours ont protesté contre les annonces de la Présidence et ont, eux aussi, réclamé l’indépendance de la Justice et le respect de la volonté populaire.

Selon nos informations, des magistrats préparent une action spectaculaire la semaine prochaine à Alger : un faux procès public du ministre de la Justice Tayeb Louh.

Les slogans entendus, jamais prononcés auparavant par des magistrats font l’effet d’un séisme sur la scène politique, au vu de la valeur symbolique de cet engagement d’un corps depuis toujours, secret et muet en Algérie mais également de ses implications d’ordre pratique. Les magistrats jouent un rôle de premier ordre dans l’organisation et l’encadrement des élections, y compris dans la validation de leurs résultats. Même si les présidentielles n’auront pas lieu le 18 avril, la tenue du prochain rendez-vous électoral sera compromise si l’engagement des magistrats dans le mouvement de protestation persiste.

La suite de l’engagement des magistrats dans la protestation populaire dépendra de la réalité de leur organisation au sein d’un syndicat « parallèle », comme l’a décrit un avocat contacté par TSA. Si l’information faisant état de la gestation en cours d’un « club des magistrats » composé d’un millier de « juges libres » s’avère fondée, cet engagement s’inscrira sans doute dans le long terme.

Après les défections dans les rangs des élus des partis du pouvoir, de nombreuses sections syndicales de l’UGTA, dans les associations et autres organisations de masse du pouvoir, les avocats, puis les juges, viennent gripper un autre outil du système, créant une énième brèche dans celui-ci.

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