Le président du Club des magistrats (en voie de constitution), Saâdedine Marzoug, estime inopportun le timing choisi pour présenter le projet d’amendement du Code pénal devant le Parlement.
Le projet en question, prévoyant notamment la criminalisation de la diffusion des fake news, a été adopté mercredi 22 avril par l’Assemblée populaire nationale, et ce jeudi par le Conseil de la nation (Sénat).
« Avec la crise sanitaire et les craintes qu’ont les citoyens pour leur santé, et au vu de l’importance des dispositions contenues dans le projet de loi, il aurait été plus judicieux d’ajourner sa présentation jusqu’à ce que les choses retrouvent leur cours normal », estime M. Marzoug dans une déclaration à TSA, ce jeudi.
« Cela, explique-t-il, afin de permettre à tous les concernés, juristes, sociologues, médecins, psychologues et intellectuels de donner leur avis dans la sérénité, et de lancer un débat au sein de la société, pour permettre de renforcer la conscience collective des citoyens et influer sur la conviction de leurs représentants au Parlement et sur leur choix. C’est ainsi que les textes de loi peuvent être acceptés et appliqués facilement ».
Le magistrat ne nie pas que le texte contient des aspects positifs « en lien avec la réalité de la société algérienne ». Il cite par exemple la criminalisation des faits portant atteinte à la régularité des examens et concours, « notamment après tous les cas de triche signalés, avec l’utilisation des nouvelles technologies ».
« Il était important de mettre en place un cadre juridique pour la prise en charge judiciaire de ce phénomène. Nous espérons une application fermes des nouvelles dispositions », dit-il.
M. Marzoug salue aussi la criminalisation des pratiques déloyales visant à obtenir indûment des aides de l’État, « des pratiques sur lesquelles certains ont formé l’œil par populisme ».
Le président du Club des magistrats émet néanmoins plusieurs réserves concernant les autres dispositions. À commencer par la criminalisation de l’outrage et de l’agression sur la personne de l’imam, rappelant que celui-ci est protégé, à l’instar de tous les fonctionnaires, par l’article 144 du Code pénal.
« Les imams ne sont pas plus exposés à l’outrage et l’agression que les médecins, les agents de l’ordre, les huissiers de justice, les juges et les enseignants. La protection existante était suffisante et il aurait plus judicieux de l’étendre aux employés de certaines entités économiques, comme Sonelgaz », souligne-t-il.
Il redoute en outre que les nouvelles dispositions ne soient utilisées pour réprimer toute voix discordante avec le discours officiel au sein des mosquées.
Concernant les dispositions relatives à l’atteinte à la sûreté de l’État, l’unité nationale et l’ordre public, Marzoug affirme qu’il était attendu plutôt une reformulation des articles « élastiques » du Code pénal, regrettant qu’en 2020, on élabore encore des textes de loi qui font l’objet de dissension avant même leur application, estimant que des concepts comme « l’intérêt national ou « le discours de haine » devaient être clairement définis.
« S’éloigner de la rigueur dans l’élaboration des textes de loi, ce qui est fait à dessein dans la conjoncture actuelle, ne contribue pas à l’édification de l’État de droit que réclament les Algériens », assène-t-il, indiquant que « chacun assumera ses responsabilités devant l’Histoire, soit en contribuant à faire de l’État de droit une réalité ou, au contraire, en rétrécissant les libertés ».