Ce serait peu de dire que le Maroc s’intéresse à ce qui se passe actuellement en Algérie. Pouvoir, journalistes, militants et simples citoyens ont depuis quelques semaines les yeux rivés sur l’autre côté de la frontière, fermée depuis bientôt un quart de siècle. Avec cependant des regards différenciés.
L’ironie de la situation mérite d’être soulignée : alors qu’habituellement, entre Rabat et les organisations internationales qui scrutent l’évolution du royaume à coup de baromètres, il est question d’éternelles prises de bec où la partie marocaine ne manque pas de dénoncer « l’impartialité » de leurs rapports, souvent bien critiques, depuis début février, il en est autrement, comme par enchantement, s’agissant bien entendu de ce qui est dit de l’Algérie.
La MAP, l’agence de presse officielle, s’évertue à citer la moindre communication émanant des ONG internationales à l’adresse du voisin de l’Est. Exemple parmi d’autres, lorsque Reporters sans frontières (RSF) est venue déplorer « la pression exercée sur les médias algériens », son avis a donné lieu à une dépêche, alors que ses alertes sur les vicissitudes vécues par les journalistes locaux et étrangers ayant couvert le Hirak rifain de 2007 ont été passées sous silence…
Une ligne éditoriale qui ne surprend guère, un rapport de la Cour des comptes reprochait déjà en 2013 à l’agence, nationalisée en 1974 par l’ancien roi Hassan II, de privilégier les informations institutionnelles et officielles, au détriment de la règle de la polyphonie, mais qui est particulièrement cultivée en ces temps de soulèvement populaire en Algérie contre l’hérésie d’un cinquième mandat du président Bouteflika, 82 ans, malade et mutique depuis sept ans.
Dans la même veine, la frange de plus en plus large de la presse connue pour ses accointances avec le versant sécuritaire du Makhzen force le trait sur la « bombe algérienne ». On retiendra particulièrement les coups portés à la carotide du régime gérontocratique par Le360 annonçant que « le plus marocophobe des apparatchiks algériens est de retour » pour rapporter la nomination de l’ancien ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, en tant que conseiller diplomatique auprès du « dictateur »Bouteflika
La télévision, exclusivement d’Etat, ne manque pas de consacrer à chaque JT des « reportages » toujours alarmistes sur les manifestations en Algérie, moulinant des images d’agences sur fond de récit pronostiquant l’imminence d’un désordre révolutionnaire. Les grands moyens sont également déployés, notamment chez la Tangéroise Medi 1TV, à l’ambition maghrébine, qui a dépêché sous les fenêtres de Bouteflika, hospitalisé à Genève, un envoyé spécial pour réaliser des duplex quotidiens dans un scénario de mise sous tension permanente.
C’est qu’entre Rabat et Alger, ce n’est pas tant le réveil des masses populaires, réminiscences des printemps arabes souvent vite étouffés qui est l’objet d’analyses, mais cette raideur continue entre les deux frères rivaux du Maghreb que la question du Sahara Occidental a maintenu dans une rivalité datant de la Guerre froide.
LE SAHARA OCCIDENTAL, ÉTERNEL NŒUD GORDIEN
Nombre d’observateurs, professionnels ou simples commentateurs sur les réseaux sociaux, considèrent que toute solution au conflit, nécessaire à une détente et à une normalisation tant attendue de la part des peuples, ne pourrait venir qu’avec un changement de régime en Algérie. Et comme pour pousser à la roue, Bouteflika est ainsi éreinté sur Twitter et Facebook où son image d’homme finissant, agrippé autant à son fauteuil roulant qu’au pouvoir est sans cesse ressassée.
La même attente est perceptible de la part du pouvoir royal qui a récemment tendue la main à La Mouradia pour ouvrir « un dialogue sans conditions ». Celui-ci, quoique silencieux, est aux aguets, scrutant les tendances qui se dégagent de l’extraordinaire mobilisation de cette jeunesse algérienne qui aspire au renouveau, mais qui se révèle aussi comme le miroir des ambitions de la même génération de Marocains dont elle est coupée depuis 25 ans… Il faut dire que du Rabat officiel, la fin imminente du règne statique de Bouteflika est vécue autant comme une délivrance qu’avec une inquiétude légitime : « Tout chaos aux frontières de l’Est n’apporterait que des effluves de déstabilisation pour toute la région, tant le régime algérien, déjà opaque n’est que trou noir », reconnaît-on dans les milieux sécuritaires.
Mais si ces considérations pragmatiques influent la position marocaine officielle, d’autres voix se lèvent pour appeler au soutien inconditionnel et fraternel au peuple algérien dans sa « cause juste ». L’Algérie, n’ayant pas véritablement connu de mouvement social durant les révolutions arabes, selon nombre d’observateurs, elle serait donc actuellement en train de vivre son propre printemps avec une fraîcheur jusqu’ici insoupçonnée. Suivant les récents rebonds de l’actualité algérienne, essentiellement à travers les réseaux sociaux, plusieurs anciens militants du mouvement du 20 février (M20F) y voient, avec une pointe de nostalgie, un écho à leurs propres contestations.
Hormis les revendications propres à la situation politique de chaque pays, l’ambiance bon enfant et exemplaire des marcheurs, la récurrence des mobilisations le week-end, ou encore leur ampleur, rappellent en tous points les différentes marches du M20F de 2011. Certains s’en amusent en allant même jusqu’à comparer certaines personnes prises en photo lors des marches d’Alger avec des figures connues du militantisme au Maroc… (voir photos)
Si les points de vues s’accordent en majorité pour railler les épisodes les plus surréalistes du « House of Cards » ou du « Game of Thrones » qui se jouent à Alger, quelques piques bien senties sont également adressées à certains médias marocains, mutiques lors des défilés du M20F, mais particulièrement productifs pour décrypter aujourd’hui la situation algérienne. Ceux sont aussi les pontes de la télévision publique, toujours droits dans leurs bottes pour déclamer le discours officiel, qui sont malmenés sur les réseaux sociaux, comparés à leurs « courageux » homologues algériens ayant défié leur hiérarchie ou démissionné pour protester contre la ligne éditoriale biaisée imposée à leurs médias.
Dans une « lettre aux Algériens » publiée sur Facebook, Nasser Zafzafi, figure de proue du Hirak rifain, condamné à 20 ans de prison, a salué quant à lui « le Hirak populaire algérien », se félicitant de « son caractère pacifique » et de son « grand sens du patriotisme » à même de « déjouer les méthodes du makhzen algérien qui a transformé ce pays d’un million et demi de martyrs, en un Etat corrompu et totalitaire ». Pour lui, malgré la fermeture des frontières entre les deux piliers du Maghreb, il demeure « un seul peuple (…) qui partage les mêmes difficultés et aspirations ».
Un message « d’encouragement et de conseil contre toute récupération politique à des fins autres que celle de la juste cause » repris en boucle par des militants rifains sur la Toile, considérant ainsi que le réveil algérien est consubstantiel aux aspirations communes des peuples marocain et algérien en quête des mêmes liberté et dignité…