L’extrême-droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir en France. Dans trois semaines, elle pourrait diriger le gouvernement. Vue d’Algérie, cette éventualité n’est pas faite pour rassurer sur l’avenir de la relation bilatérale, sachant le discours que développe ce courant depuis plusieurs décennies.
Dimanche 9 juin, le Rassemblement national (RN), principale formation politique de l’extrême-droite française, a remporté les élections européennes 2024 avec une très large avance sur le parti présidentiel Renaissance.
Avec 31,5 %, le RN a obtenu le double des voix récoltées par le parti d’Emmanuel Macron. Le président français a réagi en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet.
Le courant extrémiste pèse désormais environ 40 % de l’électorat français avec les 5,5 % de voix obtenues par Reconquête !, le parti encore plus extrémiste fondé par Eric Zemmour, et dont la liste aux européennes était dirigée par Marion Maréchal Le Pen, la nièce de Marine, et la petite-fille de Jean-Marie Le Pen.
Pour faire court, sans être inéluctable, une victoire de ce courant aux prochaines législatives n’est pas impossible.
L’éventualité d’une France dirigée par l’extrême-droite, attendue au plutôt en 2027, risque de survenir plutôt que prévu, avec trois ans d’avance.
Pour l’Algérie, c’est évidemment loin d’être un évènement anodin. Le Front national, ancêtre de l’actuel RN, a été fondé il y a une cinquantaine d’années par Jean-Marie Le Pen autour des cercles nostalgiques de l’Algérie française.
Le Pen lui-même a été accusé de torture et de crimes pendant la guerre d’Algérie où il a servi avec le grade de Lieutenant.
Le fondateur du Front national a été écarté du parti par sa fille pour les besoins de sa “normalisation”, mais ses descendants sont toujours aux avant-lignes du courant extrémiste, notamment sa fille Marine et sa petite-fille Marion qui a fait défection pour rejoindre le parti d’Eric Zemmour.
Signe qui ne trompe pas, le Rassemblement national, depuis qu’il s’est engagé dans la voie de la “dédiabilisation”, a lâché du lest sur bien des sujets, y compris sur l’immigration, sauf sur l’Algérie.
Marine Le Pen a fait du RN un parti pas très différent de ceux de la droite traditionnelle. Tout récemment, son successeur Jordan Bardella, qui a dirigé la liste du parti aux élections européennes de 2024, a fait une énorme concession dans le dossier immigration en se disant prêt à accepter une immigration choisie pour répondre aux besoins de l’économie.
Les propos antisémites de Jean-Marie Le Pen, qui lui ont valu des condamnations judiciaires ne sont plus depuis sa mise à l’écart qu’un vieux souvenir au RN, quitté également par les adeptes de la ligne dure sur les questions liées aux étrangers et à l’immigration, qui se retrouvent désormais à Reconquête ! autour d’Eric Zemmour.
Cependant, sur la question mémorielle et les relations avec l’Algérie, on ne peut pas dire que le RN a changé.
Quel avenir pour les relations de l’Algérie avec une France dirigée par l’extrême-droite ?
Fin mars dernier, seuls les députés du RN avaient voté contre la résolution condamnant les massacres du 17 octobre 1961. Dans son intervention pendant les débats, un député du parti a qualifié ces massacres de “fake-news”.
En revanche, les élus RN ont voté avec ceux des LR la proposition de révoquer l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration, toujours en décembre.
En 2022, Marine Le Pen avait suggéré de conditionner la délivrance de visas aux Algériens et les transferts de fonds par la coopération de l’Algérie sur la question des reconduites aux frontières.
C’était lors de la campagne présidentielle de 2022, pendant laquelle elle a promis, si elle était élue, de mener à l’égard de l’Algérie une politique “totalement inverse” de celle de ces dernières années, tout en assurant vouloir des relations “amicales” et “décomplexées” avec Alger.
Avec les LR, le parti dirigé par Jordan Bardella est aussi un adepte d’un rapprochement de la France avec le Maroc au détriment de l’Algérie.
Tout en mettant progressivement de l’eau dans son vin concernant l’ensemble des thèmes qui font le débat politique en France, le Rassemblement national est resté sur une ligne dure s’agissant de la repentance et plus globalement de la relation avec Alger.
L’Algérie est en quelque sorte la matrice à l’origine de la fondation du parti et il n’est pas étonnant qu’il soit un opposant acharné à toute idée de repentance.
Sous Emmanuel Macron, la relation franco-algérienne a connu des hauts et des bas, avec une réelle volonté d’avancer sur le dossier de la mémoire.
Le président français a multiplié les gestes de reconnaissance de certains épisodes douloureux de la Guerre d’Algérie.
En août 2022, il a effectué une visite “très réussie” en Algérie à l’issue de laquelle les deux parties ont signé la “Déclaration d’Alger”, très prometteuse pour un nouveau départ de la relation bilatérale.
Une visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune est prévue à Paris l’automne prochain. Une visite sur laquelle les deux présidents placent leurs espoirs pour continuer l’œuvre de rapprochement entamée en 2020.
Il est légitime de s’interroger sur le maintien du déplacement de Tebboune à Paris en cas de victoire du RN le 7 juillet prochain et de se demander dès maintenant ce qu’il adviendra de la relation algéro-française.
Car si les lobbies anti-algériens dont les nostalgiques de l’Algérie française ont pu mettre des bâtons dans les roues aux tentatives de Tebboune et Macron d’ouvrir une nouvelle page, que feront-ils, ou ne feront-ils pas, une fois au pouvoir ?
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