Que le Rassemblement national (RN) accède ou pas au pouvoir dans une semaine, le mal est déjà fait pour l’image et la place de la France en Europe et dans le monde, et surtout au Maghreb et dans le monde arabo-musulman.
Dimanche 30 juin, le parti d’extrême-droite a réalisé un score historique au premier tour des législatives, en arrivant en tête avec près de 30 % des suffrages exprimés.
En attendant le second tour, le 7 juillet, le monde est déjà certain d’une chose : au moins un Français sur trois souhaite voir son pays gouverné dans l’immédiat par l’extrême-droite xénophobe et ouvertement anti-musulmans.
Le RN récuse ce qualificatif et affirme avoir changé. Le Front national, fondé par Jean-Marie Le Pen au début des années 1970, a en effet changé de nom pour devenir le Rassemblement national. Il a aussi entamé sa « normalisation », rompant avec l’antisémitisme assumé de son fondateur et atténuant certaines de ses positions sur l’immigration et les étrangers.
Vote inquiétant
Même si certains le classent désormais dans la droite conservatrice, ou la droite dure, il n’en reste pas moins que le RN demeure, dans le discours de ses porte-voix et jusque dans certains points de son programme, profondément imprégné du soubassement idéologique de ses fondateurs, et bien plus loin, de l’extrême-droite française de l’entre deux guerres, l’antisémitisme en moins, du moins en façade.
S’il ne cible plus les juifs, le RN n’est pas pour autant moins raciste. Il a juste changé de cible. Dans son viseur, il a désormais les immigrés d’origine maghrébine et les musulmans.
Par ses promesses de campagne, il assume presque sa xénophobie que tout le monde sait maintenant qu’elle est dirigée contre une seule catégorie d’étrangers : préférence nationale, suppression du droit du sol, durcissement des conditions d’entrée et de séjour des étrangers, exclusion des binationaux de certains emplois stratégiques, expulsion des sans-papiers, suppression des aides aux étrangers y compris ceux qui sont en situation régulière…
Par-dessus tout, le RN trahit son fond idéologique par ses positions sur la mémoire coloniale ou encore la question palestinienne.
Le Front national a été fondé autour d’un noyau de nostalgiques aigris par l’indépendance de l’Algérie. Le Pen lui-même avait servi dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie où il aurait commis des crimes de guerre, des actes de torture notamment. Ses successeurs se sont ouvertement positionnés contre tout acte d’excuse de la France par rapport à son passé colonial en Algérie.
La montée de l’extrême-droite altère l’image d’une France déjà affaiblie
L’immigration algérienne est aussi la plus visée par le parti d’extrême-droite dont l’une des premières mesures une fois au pouvoir pourrait être la suppression de l’accord algéro-français de 1968 sur l’immigration.
Ce qui équivaudrait à l’Algérie à un casus belli qui pourrait provoquer la rupture pure et simple avec l’ex-puissance coloniale.
Le RN ne laisse presque pas une chance pour une relation normale avec l’Algérie. Sur la question du Sahara occidental, très sensible pour Alger, il a aussi une position tranchée en faveur de la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental.
Si la promesse est évidemment accueillie avec jubilation par le palais royal, la rue marocaine ne peut pas voir d’un bon œil la montée du courant extrémiste en France.
L’immigration d’origine marocaine n’est pas et ne peut pas être épargnée par le projet xénophobe du Rassemblement national. Pendant la crise des visas à l’automne 2021, le mot d’ordre de l’extrême-droite française était de « faire plier » et l’Algérie et le Maroc sur la question des OQTF et des laissez-passer consulaires.
En somme, avec l’Algérie qui est le deuxième partenaire économique de la France en Afrique, le programme du RN se résume à deux points : abrogation de l’accord de 1968 et expulsion massive de clandestins.
Plus inquiétant encore est la propension des dirigeants du RN à en découdre rapidement avec l’Algérie, ce qui suscite des inquiétudes sur l’avenir des relations entre les deux pays.
Si le RN altère l’image de la France au Maghreb par ses positions et dérapages sur la mémoire et l’immigration, dans le reste du monde musulman c’est le grand écart sur la question palestinienne qui risque de ne rien laisser du prestige de la France.
Question palestinienne : le RN va plus loin que Sarkozy
Depuis le 7 octobre dernier, le parti pour lequel un Français sur trois a voté s’est aligné ce dimanche 30 juin, non pas sur la position américaine comme le fait la diplomatie française depuis Nicolas Sarkozy, mais sur celle du gouvernement extrémiste israélien de Benyamin Netanyahu.
Le président du RN Jordan Bardella a pris clairement position contre la création d’un État palestinien, s’alignant ainsi sur la position du premier ministre israélien qui a tout fait pour faire avorter tout projet de règlement diplomatique du conflit.
La cause palestinienne est très importante et sensible pour tout le monde musulman. En novembre dernier, des ambassadeurs en poste en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont alerté l’Élysée sur la dégradation de l’image de la France dans la région.
Qu’en sera-t-il maintenant que le ”en même temps” d’Emmanuel Macron est en train de céder la place au parti pris assumé et sans équivoque du premier parti de France en faveur d’Israël ?
Sans compter les polémiques liées à l’Islam avec l’engagement du RN d’interdire le voile dans l’espace public s’il accède au pouvoir, ce qui serait une première dans le monde occidental, déjà récurrentes depuis quelques années, et qui vont inévitablement ressurgir avec plus d’acuité avec une extrême-droite au pouvoir ou comme première force de l’opposition.
La montée du courant extrémiste n’est pas non plus faite pour renforcer la place de la France en Europe et plus globalement dans le monde occidental. Même “normalisé”, le RN demeure un parti d’essence eurosceptique, comme du reste toute l’extrême-droite européenne. C’est aussi un parti qui suscite l’inquiétude chez les partenaires occidentaux de la France par ses accointances avec la Russie.
Pendant la campagne, la France a offert au monde un triste spectacle, avec un parti extrémiste pas encore au pouvoir mais qui récuse déjà au président de la République la qualité de véritable chef de l’armée, et ses adversaires qui l’accusent de « ruer sur le bouton nucléaire ».
En plus de son aura civilisationnelle indéniable, la France détient en effet l’arme nucléaire et le droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU. Léguer un tel héritage à un parti qui assume presque son racisme, relève de la grave imprudence. Il est vrai que le vote sanction a été rarement un vote raisonnable.