Trois mois après Liberté, contraint à fermer en avril dernier après trente ans d’existence, la corporation de la presse algérienne s’apprête peut-être à faire le deuil d’un autre titre majeur.
El Watan risque la fermeture par la faute d’une situation financière intenable.
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Ses 150 employés, sans salaires depuis près de cinq mois, en sont à leur deuxième grève en quelques jours, après celle des 12 et 13 juillet.
Les travailleurs ont décidé de recourir à la grève cyclique pour interpeller la direction, non sans reprocher à cette dernière « son incapacité à trouver une issue à la crise » en plus de ne proposer « aucun dialogue sérieux au partenaire social ».
De leur côté, les actionnaires de la société ont lancé un appel aux pouvoirs publics pour trouver une issue à la situation compliquée que vit le journal. Depuis mars dernier, tous les comptes de la SPA sont bloqués suite à des litiges avec l’administration fiscale et la banque CPA.
La direction demande l’établissement d’un échéancier pour régler ses dettes de 55 et 45 millions de dinars dues respectivement aux impôts et à la banque.
Les actionnaires se sont donnés jusqu’à la fin du mois de juillet pour « évaluer les perspectives de normalisation ou non » et prendre « les mesures qui s’imposeront quant à l’avenir de l’entreprise ».
La possibilité de fermer le journal est pour la première fois insinuée.
La torchon a brûlé pendant la semaine entre les actionnaires et les employés qui se sont publiquement échangé les accusations.
Puis c’est de nouveau le recours à la grève, cette fois pour trois jours, à partir du 18 juillet. Un autre débrayage est annoncé pour le 24 juillet, et si les choses ne bougent pas, la grève cyclique se transformera en grève illimitée à compter du 29.
La direction s’est de nouveau exprimée pour, cette fois, évoquer directement la possibilité de fermer le journal.
Dans un entretien au site H24-dz, le directeur de la publication, Mohamed Tahar Messaoudi, n’a pas exclu cette éventualité douloureuse.
« Oui, on risque la fermeture du journal. Le syndicat a engagé une grève cyclique. Les travailleurs sont excédés par le fait de n’avoir pas été payés pendant quatre mois. Ils ont raison. C’est intenable pour un salarié de travailler sans contrepartie », déclare-t-il.
Dans l’entretien, M. Messaoudi va au fond du problème et dénonce particulièrement le fait que le journal ne bénéficie pas de la publicité étatique qui permet à des dizaines de titres de subsister.
« Pourquoi ce gâchis ? »
« Il y a eu octroi d’indus avantages. Pourquoi donne-t-on de la publicité à des journaux qui ne sont pas vendus ou à très faible tirage ? Des journaux qui n’emploient même pas dix salariés. La SPA El Watan, qui emploie 150 salariés, a investi et contribué à la création d’emplois et de la richesse en Algérie. En retour, nous risquons aujourd’hui de perdre tous ces postes d’emploi », prévient-il.
Parmi les investissements effectués par El Watan dans ses années fastes, l’achat d’une rotative et la construction d’un siège moderne à Alger.
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Grâce à ses actifs, le journal pourra se tirer d’affaire, mais le plus urgent est le déblocage de ses comptes.
La fermeture d’El Watan aura d’autres conséquences , prévient son directeur : « Avec la fermeture d’El Watan, l’imprimerie sera également fermée. Cela va inévitablement entraîner la chute du quotidien El Khabar qui tire dans ces rotatives. El Khabar, un journal à gros tirage qui emploie beaucoup de salariés. Pourquoi tout ce gâchis. »
El Khabar, créé à la même période avec El Watan, au début des années 1990, subit lui aussi, à l’instar de tous les grands médias privés, les retombées de la baisse des insertions publicitaires du secteur économique privé.
Marginal pendant plusieurs années, l’apport de la publicité publique, distribuée via l’ANEP, est devenu vital pour tous ces titres.
El Watan, qui en est complètement privé, risque carrément la fermeture.
Son directeur y voit une forme de pression politique. « On ne supporte pas que d’autres voix contrarient le discours officiel ou que des opposants puissent s’exprimer librement et critiquer l’action du gouvernement. La liberté d’expression est inscrite dans la Constitution », accuse-t-il.