Depuis quelques jours, le Selecto, cette boisson gazeuse couleur café lancée au début du XXème siècle par la maison Hamoud Boualem est au cœur d’une vive polémique sur les réseaux sociaux. À l’origine, une publicité diffusée depuis le début du mois de Ramadhan mettant en scène le rappeur franco-algérien L’Algérino, dans le désert du Sahara.
Mais alors que sur la page Facebook officielle de Selecto, les commentaires sont majoritairement favorables à ce spot d’environ une minute (« J’adore cette pub, c’est la meilleure », « C’est juste magnifique », « L’équipe Boualem, bravo ! Chapeau ! », « Allah ibarek, wi zid, je ne vous échangerai jamais »), elle ne serait pas du goût de certains habitants du sud du pays qui n’ont pas tardé à exprimer leur mécontentement via une lettre ouverte adressée à Mohamed Réda Hamoud, PDG de Hamoud Boualem. Elle est depuis relayée sur plusieurs pages. En voici les lignes :
« Notre intention n’était pas de créer un malaise »
Contactée par TSA, la directrice marketing et communication de Hamoud Boualem, a fait part de l’étonnement de l’entreprise lors de la réception de la missive. « Cela s’est fait par message privé sur Facebook. Nous n’avons reçu aucun courrier, précise-t-elle. Nous avons répondu à la personne qui nous a écrit en lui expliquant que notre intention n’était pas de créer un malaise.
L’idée était de promouvoir le produit et la diversité du pays. Le fait de parler de néocolonialisme est pour nous quelque chose d’inadmissible. Les figurants et les figurantes de la publicité sont des gens du sud. Le « Roh djibha », c’était une amorce pour dévoiler le produit et non un ordre donné à un serviteur, se défend-t-elle. Si L’Algérino était considéré comme un prince, on l’aurait servi en premier.
Quant aux femmes qui apportent le repas, ça arrive dans toutes les régions algériennes, il ne faut pas se leurrer ! Et si vous regardez bien, c’est un homme qui sert la boisson, pas une femme. Cette publicité met en scène une situation conviviale. C’est l’une des pubs qui a généré le plus de commentaires positifs sur Facebook. Même des gens de Ghardaïa et de Laghouat nous ont remercié. Nous faisons tous partie d’une même Algérie. Et en cette période un peu difficile, ce n’est pas le moment d’alimenter ce genre de polémiques ».
Pour l’agence de communication Arabesques, qui a collaboré avec la marque de soda, l’internaute qui les a contactés ne représente, au mieux, que sa propre personne. « Il interprète ce spot comme il le veut. Il est libre de s’exprimer et de penser ce qu’il veut. Mais comment ose-t-il parler au nom des citoyens du sud ? Comment peut-il se permettre de toucher à l’identité algérienne ? Et pourquoi avoir envoyé cette lettre ailleurs avant de nous en parler ? Nos coordonnées sont partout ! C’est une personne qui veut nuire à l’entreprise car si vous regardez bien, L’Algérino tire lui-même son chameau, il est à pied.
S’agissant de la femme qui tient le plateau, nous n’inventons rien, la femme algérienne adore recevoir ce n’est pas typique au Sahara. Et puis elle ne baisse pas les yeux ! » L’agence de communication rappelle en outre qu’aucune lettre officielle ou pétition ne leur a été remise.
« Nous ne demandons pas le ciel »
Nous sommes parvenus à entrer en contact avec deux personnes qui ont contribué à la rédaction de ce « coup de gueule ». Elles affirment que le groupe signataire est constitué de « plus d’une cinquantaine » d’habitants, âgés entre 40 et 65 ans. « Nous ne sommes pas une association ou un organisme. Notre démarche ne revêt aucun caractère politique ou régionaliste. Nous sommes juste un groupe d’amis dont certains, originaires du sud et d’autres non, ont été dérangés par les sempiternels clichés sur nos compatriotes du sud reproduits dans les publicités, à la TV, à la radio et dans les médias, développe l’un d’entre eux.
Ils sont toujours figés dans des schémas traditionnalistes, un peu ‘exotiques’, cantonnés dans le rôle de personnes recevant des invités de passage venant du nord dans un décor de cinéma. Mais on ne leur donne jamais de rôle actif au premier plan. D’ailleurs, dans la pub, on n’entend que L’Algérino et ses chansons à tue-tête. Aucune musique de la région, aucun dialogue avec ses habitants, rien ». « Voyez-vous, nous ne demandons pas le ciel, juste un peu de considération », réclame un autre.
Contrairement à ce que l’on peut lire, les auteurs disent ne pas vraiment s’attendre à ce que la publicité soit supprimée. « Juste qu’ils prennent conscience des clichés éculés qu’ils véhiculent et qui sont bons pour les touristes en mal d’exotisme. Cela dit, le spot est visuellement beau et ne pouvait que cartonner. Nous avons peut-être une vision intellectualiste des choses, mais c’est notre sensibilité que nous exprimons ».