Tribune. Les vices et les vertus sont des voisins qui se taquinent et se défient jusqu’à s’infliger des envers. C’est ainsi que la bravoure accuse des moments d’accès de faiblesse, et la lâcheté jouit des phases de sursauts d’honneur. Autrement dit, nul patriote n’est infaillible, mais la défaillance demeure circonscrite et est parfois réversible.
Ainsi, si on doit figurer une embarcation spécifique pour le patriotisme, elle devrait s’apparenter à un train très accueillant, sans locomotive, sans dernier wagon, et sans contrôleur, avec la participation active de tous les passagers dans l’effort de locomotion.
Aucune personne lucide et désireuse d’emprunter le généreux train du patriotisme, ne risque de le rater, plus particulièrement les gens résolus à se remettre de l’ébriété et de l’infidélité. Les retardataires ont droit à toutes les commodités d’usage et peuvent même aspirer à des égards distincts.
Le patriotisme immuable et la probité soutenue sont certes plus louables, mais la faiblesse humaine est si éprouvée et si partagée que rien ne force autant l’admiration que l’audace d’un repentir sincère et intégral. La fuite en avant n’est ni le seul remède de l’embarras ni le meilleur. Les repentirs des grands et leurs victoires sur l’orgueil pèsent et valent souvent, bien plus que l’innocence assidue des petits.
Le sursaut populaire et le ralliement des poids lourds
C’est un secret de polichinelle. La contagiosité, dûment orchestrée, du régime corrompu et corrupteur de Bouteflika, et la profanation épidémique des mœurs sociopolitiques, ont fini par toucher beaucoup de responsables. Il ne fait pas de doute que sous un environnement politique plus sain, toutes ces mains indélicates seraient restées majoritairement propres.
Même si la pression populaire, pacifique et soutenue, demeure l’arme principale du changement profond, prôné par la société, des ralliements qualitatifs authentiques ne sont pas moins indispensables et désirables. Ce qui est loin de représenter une mince affaire, tant la faiblesse humaine a constitué un pari majeur durant toute l’ère Bouteflika. De par leur importance stratégique, ces ralliements de poids doivent être subtilement encouragés, et toute attitude populiste, maladroite ou infiltrée, s’y opposant, est contre-productive et risque même de s’avérer suicidaire.
Et à propos des poids lourds, c’est évidemment l’armée algérienne qui dispose des principaux arguments et outils pour l’administration et le suivi du traitement de la crise politique, prescrit par le peuple. Il y a sans doute plus pertinent comme exemple, mais sa légende de redresseur de torts, en l’absence de justice, Zorro la doit davantage à sa fameuse épée qu’à sa probité.
Si les chefs militaires n’arrivent pas à percevoir dans l’actuel sursaut du peuple algérien une quelconque opportunité historique, c’est qu’ils doivent estimer qu’il s’agit d’une crise majeure. Cette différence d’appréciation peut paraître insignifiante, mais elle interpelle une binarité universelle cinglante. Les grands succès de l’histoire ont pour origine d’épineux problèmes, que des hommes et des femmes, bien inspirés, ont su transformer en opportunités, alors que les lamentables faillites résultent du cumul de chances ratées et non saisies.
Les succès et les déceptions, c’est toujours une question d’hommes et de femmes, de bons ou de mauvais élèves ! Un esprit ouvert et vigilant ne manque jamais de bonnes occasions, il en rencontre une à chaque circonstance particulière, alors que pour un mauvais élève, une opportunité n’est qu’un prétexte pour offrir une nouvelle déception à son entourage.
Le tutorat et la souveraineté
Il serait plutôt déplorable que les pénibles épreuves de décolonisation et les atroces guerres de libération ne forgent pas de profondes inclinations de paternalisme. Même si je n’avais qu’une dizaine d’années à l’époque, je n’oserai jamais douter des sentiments sincères du président Ben Bella et du ministre des Moudjahidine Mohamedi Saïd, qui venaient nous rendre visite et s’inquiéter de notre situation, dans le centre d’enfants de chouhada de Dély Ibrahim.
Le paternalisme et le tutorat ne représentent toutefois que l’étape initiale de la responsabilité des parents, et ne doivent, en aucun cas, être tenus pour des devoirs de domination. La pulsion de dominance est plutôt une dérive relevant de la psychiatrie, d’autant plus difficile à guérir que le quotient intellectuel est élevé. Le souci principal d’un esprit de domination, devrait être de savoir comment faire pour s’arracher de l’emprise de ses propres démons.
C’est dès l’indépendance, comme l’a vainement prôné Hocine Aït-Ahmed, l’incompris, qu’il fallait prendre le bon virage, et ranger les fusils. Car en temps de paix, « On ne peut jamais savoir ce qu’il peut advenir d’un homme qui possède à la fois une certaine conception de ses intérêts et un fusil », avertissait Georges Clemenceau.
Si à un moment donné, les conditions d’un tutorat militaire sur la société sont jugées réunies, elles ont alors toutes les chances de paraître par la suite, chaque fois, davantage renforcées. Il faut un sacré changement des mœurs ou des assesseurs, pour espérer inverser la tendance. Il faut préparer une classe d’élèves vigilants et bienveillants pour ne pas rater les bonnes occasions. Et les opportunités exceptionnelles sont hélas très lentes à se manifester et très promptes à disparaître.
Il est, par ailleurs, étrange d’observer comment certains esprits dominateurs arrivent aisément à confondre l’intérêt individuel et l’intérêt général pour imposer le tutorat, et comment ces mêmes esprits de domination se métamorphosent subitement en moralistes purs, dès le départ à la retraite.
Mais encore une fois, pour ces pulsions abusives, ce n’est pas la responsabilité qui est à incriminer, mais les individus qui en sont indignes. Rappelons, à cet effet, la merveilleuse histoire de ce compagnon du Prophète (QSSL) qui a décidé un soir de se plaindre du manque d’éducation de sa femme, auprès d’un homme dégageant de l’autorité à en revendre. Arrivé chez son soi-disant secoureur, et avant même de frapper à la porte, il entendit des cris de femme qui l’obligèrent aussitôt à faire demi-tour et rentrer chez lui. Il remercia alors le Bon Dieu d’être mieux loti, et accepta définitivement son sort. L’infortuné qui se faisait lessiver par son épouse, n’était autre que le Commandeur des Croyants, Omar Ibn Al-Khattab, en personne.
La grandeur dans l’indulgence et la tolérance, les leaders authentiques la doivent à leur légitimité morale et populaire, et à leur indépendance de toute influence étrangère. Ce sont les putschistes et les opposants, par la force, à la volonté populaire, qui cherchent continuellement le feu vert des puissances étrangères et leur couverture permanente. Les leaders civils ou militaires, qui ne peuvent pas rester insensibles aux vibrations et espérances de leur société, et qui désirent rallier la révolution pacifique de leur peuple, n’ont besoin d’aucun visa ou permission extérieure. Et mon sentiment, intimement optimiste, est que les actuels responsables militaires algériens font résolument partie, en majorité, de cette deuxième catégorie.
Pour résumer et conclure, le fils de l’un des fondateurs de l’Armée de libération nationale, bien avant novembre 1954, s’adresse à l’honorable Armée nationale populaire, pour lui demander de bien vouloir débarrasser le pays de toute la mafia politico-financière, d’accompagner efficacement la délicate période de transition, de remettre les clés de la souveraineté aux élus du peuple, de rejoindre dignement les casernes, et de remercier alors toute la société, pour le pardon qui aurait été déjà, à ce stade, sincèrement accordé, et tout aussi bien mérité.
Ce n’est pas la mer à boire pour l’Algérien, ce digne héritier de Ben Boulaïd, Krim Belkacem, Zabana, Didouche Mourad, et tant d’autres héros.
Vive l’Algérie et gloire aux valeureux chouhada !
*Abdelhamid Charif est Professeur en Génie Civil
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