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Le très inquiétant plan de Donald Trump pour la Palestine

Jared Kushner, conseiller et gendre du président américain Donald Trump, prépare un plan pour fonder « l’accord du siècle » entre israéliens et palestiniens qui serait, selon le journaliste français René Backmann, très déséquilibré et favorable à Israël. « Ce plan est si ignorant des acquis de deux décennies de négociations, mais aussi de l’Histoire et du contexte géopolitique, qu’il est pour l’instant jugé risqué de le dévoiler», écrit le journaliste du site français Mediapart.

Les détails de ce plan devaient être publiés après le Ramadhan dernier, à la mi-juin 2018. « Au cours de la seconde quinzaine de juin, les deux principaux artisans du plan, Jared Kushner et Jason Greenblatt, envoyés spéciaux du président américain pour le Moyen-Orient, se sont une nouvelle fois rendus en Jordanie, en Arabie saoudite, au Qatar, en Égypte et en Israël – mais pas dans les territoires palestiniens – pour rediscuter certains points avec les alliés et partenaires de Washington. Et tenter d’obtenir leur approbation et leur soutien. Ils sont rentrés aux États-Unis sans être plus diserts sur le contenu du document, et sans livrer la moindre indication sur la date de sa publication », affirme René Backmann, auteur de l’essai « Un mur en Palestine » (publié en 2006).

Selon le journaliste, plusieurs interlocuteurs arabes de Kushner et Greenblatt leur ont conseillé de ne pas rendre public le plan en l’état. « Les plus réservés et les plus empressés à prêcher la patience aux représentants de Trump ont été les dirigeants jordaniens et égyptiens, qui affrontent, à l’intérieur, des crises économiques et sociales sévères. Qui plus est, ces derniers ne veulent pas voir la colère populaire trouver un nouveau carburant, incendiaire, dans la publication d’un plan de paix injuste, partial et inacceptable pour les Palestiniens, qui aurait publiquement reçu leur aval », a-t-il détaillé.

Qui sont les architectes du Plan ?

René Backmann a relevé qu’outre Jared Kushner, le projet est conçu aussi par Jason Greenblatt et David Friedman, actuel ambassadeur des États-Unis en Israël, qui sont «dépourvus de toute expérience diplomatique et de toute connaissance de la région, hormis Israël ». Le journal français Libération a relevé, en janvier 2017, que Jason Greenblatt et David Friedman sont des avocats d’affaire juifs orthodoxes. David Friedman est, selon l’AFP, un partisan de la colonisation et de l’annexion par Israël de parties de la Cisjordanie occupée.

Durant la campagne électorale de Trump, Friedman et Greeblatt ont signé ensemble plusieurs communiqués appelant à proclamer Jérusalem comme « capitale éternelle et indivisible de l’État juif ». Ils ont appuyé, durant la même campagne, le déplacement de l’ambassade américaine vers Jérusalem. Cela a effectivement eu lieu le 14 mai 2018. D’après René Backmann, Kushner, Greeblatt et Friedman sont engagés dans l’entreprise israélienne de colonisation, « en particulier à travers leur participation au financement de la colonie orthodoxe de Beit El, à un jet de pierre de Ramallah ».

Aucune référence à la solution des deux États

Que contient le document préparé par les trois auteurs ? Le plan, selon René Backmann, ignore la question du retour des réfugiés et ne fait pas référence à la solution des deux États, « qui constitue jusqu’à présent, faute de mieux, la base de négociation acceptée par les Palestiniens, préconisée par les Nations unies et admise par la majorité de la communauté internationale, pays amis d’Israël compris ».

« Le plan Kushner proposerait pour la Cisjordanie un statut de « quasi-État » démilitarisé, doté d’une souveraineté limitée et d’une capitale qui ne serait pas Jérusalem. De ce « quasi-État » sans forces de sécurité ni unité territoriale, les frontières seraient d’autant plus difficiles à délimiter qu’aucune colonie – ni les blocs ni les colonies isolées – ne serait évacuée et qu’Israël conserverait le contrôle total de la vallée du Jourdain (Wadi Al Ordon). En d’autres termes, il resterait aux Palestiniens beaucoup moins de la moitié des 22 % de la Palestine historique sur lesquels ils avaient fini par accepter de bâtir leur État, dans le cadre d’un accord de paix avec Israël », a-t-il détaillé.

Pour définir les limites de l’entité territoriale palestinienne à créer, il n’est plus question des frontières de 1967. Cette question figurait depuis au moins 25 ans parmi les « termes de référence » des négociateurs des deux camps. L’emplacement proposé pour la capitale de ce quasi-État palestinien, « sans continuité ni contiguïté territoriale », est pour l’instant Abou Dis, « une localité poussiéreuse et déshéritée de l’est de Jérusalem », souligne le journaliste.

Appui des princes héritiers saoudien et émirati

Jared Kushner et ses conseillers ont fait circuler une rumeur selon laquelle ils envisageraient de demander à Israël de se retirer d’Abou Dis et de trois autres faubourgs palestiniens de Jérusalem-Est (Shu’fat, Jabal Mukaber et Issawiya), sans préciser si le mur qui les borde serait abattu. « Ou encore s’il serait maintenu, mais avec un changement de statut de ces quatre localités que les démographes-stratèges israéliens envisagent depuis longtemps de couper de Jérusalem pour conforter la majorité juive de sa population ».

Jared Kushner compte sur les princes héritiers d’Arabie saoudite et des Émirats pour imposer son plan. « Ceux-ci sont décidés, selon un diplomate arabe, à « jeter la cause palestinienne sous le train » en échange du soutien de Washington dans leur offensive diplomatique et politique contre l’Iran ».

Ghaza, un « État » pour Hamas ?

Le plan Kushner considère la bande Ghaza comme une entité séparée de la Cisjordanie et « non plus comme l’une des deux parties d’un futur État palestinien unique ». La frontière entre Ghaza et Israël resterait aussi hermétique qu’aujourd’hui et aucun lien direct, routier entre le territoire côtier et la Cisjordanie ne serait envisagé.

Le document sur lequel travaillent Kushner et Greenblatt prévoit la création d’une sorte de mini-État palestinien, indépendant ou autonome, séparé d’Israël mais ouvert sur l’Égypte, dans la bande de Ghaza. « Sous la férule du mouvement islamiste Hamas, qui contrôle le territoire depuis 2006 ? Pourquoi pas. Ce n’est apparemment un problème aujourd’hui ni pour les monarchies du Golfe, ni pour les États-Unis, ni pour Israël. Le Hamas, dont la dernière tentative de réconciliation avec l’Autorité palestinienne a échoué, pourrait accepter de négocier avec Israël une nouvelle proposition de trêve de longue durée. « Mieux vaut traiter directement avec Israël qu’avec ses sous-traitants de Ramallah », confient aujourd’hui certains cadres du mouvement islamiste », précise Mediapart.

L’équipe Kushner a imaginé, selon lui, la création dans le Sinaï égyptien, entre la frontière de Ghaza et la ville égyptienne d’El-Arich, une sorte de zone franche « au statut juridique plutôt flou », avec un investissement de départ d’un milliard de dollars, assuré par les monarchies du Golfe. On y trouverait une usine de dessalement de l’eau de mer, une centrale électrique, cinq zones industrielles « employant des milliers de travailleurs dont les deux tiers viendraient de Gaza et un tiers d’El-Arich », un port et un aéroport international.

Dans ce contexte, le projet d’un État palestinien en Cisjordanie et à Ghaza, tel qu’il a été imaginé depuis les accords d’Oslo, serait enterré par le plan Kushner. Mais l’autorité palestinienne refuse toute idée de créer un État sans Ghaza.

Inquiétude du Roi Abdallah de Jordanie

Pour René Backmann, Kushner et son équipe se trompent lourdement en ignorant le point de vue des dirigeants égyptiens et jordaniens.

« Le souverain jordanien a très mal accueilli le projet, avancé par le prince héritier saoudien, de revendiquer une part de la tutelle que le royaume hachémite exerce, en vertu des accords d’armistice israélo-arabes de 1949, sur les lieux saints musulmans de Jérusalem-Est (El Qods). Amman contrôle le Waqf, gère et administre les lieux saints, nomme le grand mufti de Jérusalem et désigne le chef du Conseil suprême musulman », affirme Mediapart.

D’après la même source, le prince Mohammed Ben Salmane (MBS) a reçu l’aval de Jard Kushner pour revendiquer le contrôle partiel les lieux saints d’El Qods (l’Arabie Saoudite contrôle déjà totalement les autres lieux saints de l’Islam à la Mecque et à Médine). « MBS estime que la montagne de dollars qu’il est prêt à débourser, avec l’aide des autres pétromonarchies, pour soutenir le plan de paix américain, vaut bien une part de la tutelle sur le Dôme du Rocher et al-Aqsa », révèle le journaliste français.

Cette affaire envenime les relations entre Amman et Ryad au point que la Jordanie a rétabli ses relations diplomatiques avec le Qatar, après les avoir rompues en 2017, en solidarité avec l’Arabie Saoudite qui accusait Doha de « financer le terrorisme » et d’entretenir des relations avec l’Iran.

Le Roi Salmane d’Arabie Saoudite (père de MBS) ne serait pas d’accord avec le Plan de Kushner, en opposition avec l’initiative arabe de paix de 2002 (présentée par Ryad au sommet arabe de Beyrouth). Cette initiative a prévu, entre autres, l’évacuation par Israël des territoires occupés depuis 1967 et de la création dans ces territoires d’un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale.

« Sous un déluge de dollars »

L’Égypte serait favorable, selon René Backmann, à la création de la « zone franche » dans le Sinaï, mais à condition qu’un plan de développement économique de Ghaza « ne se substitue pas à un plan diplomatique accepté par les Palestiniens ». Le Caire se montre souvent critique vis-à-vis du Hamas palestinien en raison de ses liens avec les Frères musulmans égyptiens.

L’équipe de Kushner aurait demandé au Qatar de contribuer au financement de la zone franche au Sinaï ce que Ryad et Abu Dhabi auraient refusé.

« Autour de Benjamin Netanyahou, tout se passe pour l’instant comme si les obstacles rencontrés, voire provoqués par le « plan Kushner », étaient mineurs et ne pourraient empêcher Trump de réaliser, prochainement, « l’accord du siècle » qu’il a promis. Lequel accord permettrait enfin d’en finir avec les revendications nationales des Palestiniens, ensevelies sous un déluge de dollars et anesthésiées par l’apparence au moins d’un décollage économique(…) Un accord de paix aussi déséquilibré ne s’impose ni par l’argent, ni par la force. Trump et les siens sont en train de le découvrir», conclut René Backmann.

Les responsables palestiniens refusent, pour rappel, de discuter avec les émissaires américains depuis la décision de Washington de transférer son ambassade à Jérusalem.

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