REPORTAGE. Repoussés sans cesse du centre-ville à chaque tentative de rassemblement, les jeunes supporters du mouvement social rifain jouent désormais au chat et à la souris avec la police, jusque sur les hauteurs des quartiers qui surplombent la cité méditerranéenne
De notre envoyé spécial à Al Hoceima
Une cinquantaine de jeunes se font entendre depuis les rochers qui surplombent l’un des quartiers en périphérie de la ville, ce mardi soir. Les rues un peu plus loin sont en travaux, un stade de football est en train d’être soigneusement rénové. Les ouvriers s’activent de toute part, il est vingt-trois heures.
Cinquante, c’est peu, de moins en moins que les jours et les soirs précédents. Bien que la tentation soit grande de parler d’essoufflement des manifestations, la réalité est différente. La colère gronde toujours autant dans les cœurs. Mohammed, vingt-neuf ans, passe nonchalamment aux pieds des rochers. Lui ne manifeste plus depuis un bout de temps, par « peur des arrestations ».
Les manifestants résignés par la peur
Cette peur, bon nombre d’habitants la ressentent dans la ville et beaucoup d’entre eux affirment que c’est elle qui les pousse à rester chez eux, loin des cris de protestation. Les voitures qui passent sur la route sinueuse klaxonnent, en soutien des quelques irréductibles qui scandent « Le peuple demande la libération de tous les détenus ! ».
Dimanche soir, ils étaient plus d’une centaine à se réunir sur les collines à l’entrée de la ville. Alors que les slogans du groupe le plus important renvoient leur écho, d’autres petites lumières s’allument sur les monticules d’en face et répondent aux chants des premiers.
« Les jeunes sont très astucieux » s’exclame Azzedine, la quarantaine bien affichée, le visage à demi éclairé par le flash d’un téléphone. « Vu que la police empêche sans cesse les gens de se rassembler en barrant tous les quartiers, ils sont venus ici pour continuer à dire leur mécontentement, toujours pacifiquement ! » continue-t-il, pointant du doigt le quadrillage des rues. Tout en bas, à quelques centaines de mètres, les policiers assistent impuissants aux sifflets et quolibets qui leur sont adressés. À la tombée de la nuit lundi, même scénario. Sauf que ce soir là, la police a pris ses dispositions.
Les sorties de la ville sont filtrées, les groupes de plusieurs personnes stoppés avant même de pouvoir rejoindre la colline où est inscrit en énormes lettres blanches : « Dieu, la patrie, le roi ».
Au même moment, un rassemblement de femmes se prépare au centre-ville, très vite dispersé par les forces de l’ordre. Alors que des curieux sortent de chez eux et regardent dans tous les sens, cherchant à comprendre ce qu’il vient de se passer, deux fourgonnettes de police débarquent une dizaine d’hommes. Tendus, casques enfoncés sur la tête, ils repoussent bien rapidement hors des trottoirs le petit attroupement.
Un quadrillage policier enserre la ville
Les rues du Barrio Roman, qui permettaient un accès à la colline, sont elles aussi barrées de camions de police ce mardi soir. Fait de petites constructions anarchiques, ce quartier fait face à un énorme chantier sur lequel est posée une grue à l’arrêt. Un panneau, enfoncé dans le béton, annonce de nouvelles constructions de logements sociaux à venir.
En contrebas, le café « Zeste de France » est ouvert. À ses tables, une petite dizaine de jeunes attendent d’être tenus au courant. Il est déjà 22h30, les minutes passent et pas d’information sur un éventuel lieu de rassemblement.
Mais d’autres jeunes commencent à arriver et grimpent agilement une à une les marches qui montent vers le sommet. Après quelques minutes d’escalade, ils arrivent sur les rochers à cent mètres des dernières habitations. La police tourne, gyrophares allumés, ne pouvant pas une fois de plus intervenir sur ce terrain rocailleux et accidenté que les manifestants connaissent par cœur. Demain soir, ils seront repoussés un peu plus loin par les véhicules qui les empêcheront de se rejoindre au lieu de la veille, alors qu’à Imzouren se tenait encore une grande veillée pacifique.