De nombreux signaux semblent indiquer que l’économie algérienne est actuellement soumise à un choc sans précédent depuis de longues décennies. L’année 2019 pourrait bien être marquée par un test sévère qui va mettre à l’épreuve une économie et des entreprises déjà fragiles pour la plupart d’entre elles.
Au cours des dernières semaines, on a ainsi appris que certains secteurs de l’économie, à l’image du BTP, connaissent de graves difficultés. Le 12 juin dernier, l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) adressait une lettre au premier ministre Noureddine Bedoui au sujet de « la situation alarmante des entreprises », causée par les impayés de l’Etat et des entreprises publiques vis-à-vis de leurs contractants privés.
« La situation stagnante du pays et l’absence de réponse au dialogue que nous avons demandé aux ministères depuis plus de six mois a fait que nous sommes arrivés à la situation suivante : 3200 entreprises ont été fermées et 265 000 employés ont été mis au chômage depuis décembre dernier », indiquait cette association patronale.
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Plusieurs secteurs touchés par la crise
Pour l’AGEA, cette situation a été causée par « les énormes impayés des entreprises, l’absence de plan de charge, le harcèlement des entreprises par les différentes caisses (…), ainsi que le silence total de nos vis-à-vis publics quant à nos appels au dialogue ».
Le secteur du BTP est loin d’être le seul touché par cette situation de marasme. En juin dernier également, c’est le PDG du groupe public Hôtellerie et tourisme, Lazhar Bounafaa., qui affirmait que « la situation politique qui prévaut en Algérie depuis trois mois déjà a fait régresser l’activité hôtelière de 85% par rapport à la même période de l’année dernière ».
Pour M. Bounafaa, qui intervenait sur les ondes de la radio nationale, « la situation devient difficile à gérer pour les hôtels, que ce soit pour le secteur public ou privé ». Selon le PDG du groupe HTT, les hôtels enregistrent beaucoup d’annulations de réservations en ce qui concerne des événements économiques à cause de la situation politique du pays.
« Toutes les rencontres prévues jusqu’à fin décembre de l’année en cours ont été annulées », a affirmé M. Bounaffa qui citait le cas d’un grand hôtel à Tlemcen qui « depuis un mois, a fait zéro client ».
Le secteur privé principal fusible
La crise politique que connait notre pays est-elle en train de se transformer en crise économique majeure ? En tous cas, l’impact de la situation politique du pays est déjà très fortement ressenti par le secteur privé qui a été la première cible de la campagne anti-corruption.
Au cours des dernières semaines, dans le cadre de l’opération « mains propres » lancée par les nouveaux décideurs, de nombreux hommes d’affaires parmi les plus en vue ont été placés sous les verrous sans aucun ménagement.
La liste s’allonge chaque semaine des chefs d’entreprises du secteur privé qui ont été incarcérés. Cette opération se poursuit « sans que personne puisse en prévoir la fin », commente un patron algérien. Ce mercredi, Ahmed Mazouz, propriétaire du groupe éponyme, a été placé sous mandat de dépôt par le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed.
Dans ce contexte, le risque de déstabilisation du secteur privé national est encore renforcé par la très grande discrétion observée par la plupart des organisations patronales et le discrédit et les dissensions qui frappent la principale d’entre elles, le FCE, qui vient de se donner une nouvelle direction.
Purge dans le secteur public
Le secteur public n’est pas épargné par la purge. Dans ce cas également, la liste s’allonge et concerne progressivement les principales entreprises du pays dans laquelle figurent déjà notamment Sonatrach, Sonelgaz et Algérie Télécom. En un temps record, ce sont, en outre, quasiment tous les postes les plus importants de l’administration économique, Douanes, Impôts, Banque centrale, qui ont changé de titulaire.
Plus préoccupant encore, ce sont désormais deux anciens PDG de banques publiques parmi les plus importantes du pays qui se trouvent sous les verrous tandis que de nombreux cadres du ministère de l’Industrie ont également subi le même sort.
Dans une telle situation, le risque, signalé par beaucoup d’observateurs, est de voir de nombreux cadres du secteur financier public et de l’administration se réfugier dans une attitude de « prudence » qui pourrait fortement impacter l’activité économique nationale au cours des prochains mois. Dans ce domaine, de vives tensions sont déjà signalées par les opérateurs économiques notamment en matière d’octroi de crédit.
Le réveil tardif du gouvernement Bedoui
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement Bedoui ne semblait pas avoir pris la pleine mesure des difficultés auxquelles font face un nombre croissant d’opérateurs économiques nationaux.
Il ne pouvait cependant pas continuer à ignorer la gravité de notre situation économique et le dernier Conseil interministériel en date s’est achevé le 23 juin dernier par l’annonce de « l’installation officielle d’un organe multi-sectoriel chargé du suivi des activités économiques et de la préservation des outils de production, sous la présidence du ministre des Finances ».
Ce dernier a été chargé de « recenser, en urgence, toutes les activités économiques et les projets qui peuvent enregistrer des perturbations à cause des mesures conservatoires, et ce, en vue de leurs trouver des solutions juridiques dans le but de préserver leur rôle socio-économique, notamment les postes d’emploi. »
Il s’agit clairement de trouver des solutions à la situation inédite créée par les incarcérations de nombreux chefs d’entreprises qui sont désignées par euphémisme comme des « mesures conservatoires ».
Le communiqué du gouvernement Bedoui du 23 juin indique qu’« il examinera au cas par cas la situation de toutes les entreprises de production concernées et proposera les mesures pratiques et juridiques y afférentes. Les décisions nécessaires seront prises lors des réunions du gouvernement ».
On peut donc logiquement s’attendre dans les semaines qui viennent à des mesures d’exception qui concerneront quelques uns des principaux groupes privés algériens dont les dirigeants sont actuellement sous les verrous.
Vers une contraction du PIB en 2019 ?
Comment l’économie algérienne encaissera-t-elle le choc ? Pour l’instant, les pronostics sont plutôt défavorables. On pourrait bien être à la veille d’une contraction du PIB en 2019 d’autant plus que la croissance prévue initialement pour l’année en cours était déjà anémique.
De façon assez paradoxale, les principaux bénéficiaires de la situation actuelle devraient être d’abord le secteur informel qui risque de profiter mécaniquement du ralentissement de l’activité des entreprises privées légalement constituées. Les importations pourraient également être appelées à la rescousse et se trouver stimulées par les défaillances de la production nationale.
S’agit-il du prix à payer avant qu’une transition vers de nouvelles règles du jeu économique permette d’insuffler une nouvelle dynamique à l’économie de notre pays ? Rien n’est moins sûr. Pour l’instant, une chose est certaine, les conditions d’une transition économique réussie, qui ne peuvent pas se résumer à des changements de personnes à la tête des institutions économiques publiques et à des incarcérations spectaculaires d’entrepreneurs privés, sont encore bien loin d’être réunies.