A peine sortie de l’élection présidentielle, dont Emmanuel Macron est sorti vainqueur, la France s’apprête à élire ses députés. Une seconde bataille politique, dont l’issue pourrait être soit un renfort au président français, soit un contre-pouvoir du parti présidentiel.
En France, l’extrême-droite est plus forte que jamais grâce au poids de Marine Le Pen ou encore Eric Zemmour qui ont fait de très bons scores à la présidentielle. La gauche et l’extrême-gauche ont décidé de faire front commun sous la bannière de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) pour empêcher l’installation d’une majorité présidentielle.
| LIRE AUSSI : Duel Macron-Le Pen, diaspora, Algérie-France : entretien avec Brahim Kas
Les législatives incarnent donc une dimension essentielle dans l’avenir de la France. Les listes proposées sont devenues le cœur de la stratégie des partis politiques français. Il faut faire la bonne alliance, mettre en avant les bons visages, les bons parcours pour convaincre région par région les électeurs. D’autant plus durant cette année électorale où le pouvoir de la communication et de la symbolique a été puissant.
La France a surtout vécu une année de campagne électorale basée essentiellement sur des thématiques liées à l’identité française et la fracture sociétale. Les principaux candidats ont énormément joué sur la notion de bon ou de mauvais Français et de l’importance de sauvegarder les valeurs françaises et garder les frontières verrouillées. C’est ainsi que la place de l’islam et de l’immigration a été prépondérante dans le débat.
Il semble que les législatives échapperont difficilement à ce débat. Sauf que ce scrutin permet d’élire en théorie des élus de proximité permettant de défendre des sujets plus locaux. Cela implique donc de représenter la France telle qu’elle est réellement, c’est-à-dire dans toute sa multiplicité sociale comme ethnique. Il y a comme une sorte d’incompatibilité ici.
Il est donc légitime de s’interroger : les législatives seront-elles à l’image de la présidentielle, dont le débat a essentiellement été axé sur la fermeture et le rejet ? Surtout, y aura-t-il davantage de place pour des candidats issus de la diversité ?
Le cas Taha Bouhafs : algérien, musulman, militant contre les inégalités sociales
Cette question s’est imposée d’elle-même avec la candidature de Taha Bouhafs. Militant pour la France Insoumise, soutien de Jean-Luc Mélenchon, Taha Bouhafs est un journaliste franco-algérien. Il est devenu très populaire grâce à son travail mêlant journalisme d’investigation et militantisme. Les réseaux sociaux lui ont également donné une importante vitrine médiatique.
Seulement âgé de 25 ans, Taha Bouhafs a été investi par la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale dans la 14e circonscription du Rhône. Très heureux de prendre un engagement politique concret, le jeune homme avait hâte de se lancer en campagne pour convaincre les électeurs. Sauf que sa candidature a soulevé un tsunami politique. Parmi tous les bords politiques, le choix de celui qui avait révélé l’affaire Alexandre Benalla a choqué.
C’est la deuxième fois que Taha Bouhafs tente sa chance aux législatives. Après un échec en 2017, cette nouvelle candidature est encore plus contestée. Emmanuel Macron aurait été sidéré de cette décision, qualifiant cette investiture “d’histoire de dingue”. L’extrême-droite ne cesse de tirer à boulets rouges sur Taha Bouhafs. Dans les réseaux médiatiques et sociaux, on lui a collé une réputation de personnage “proche des milieux islamistes”, de “provocateur” ou encore de tête brûlée.
Même à gauche, la candidature de Taha Bouhafs fait grincer des dents. Fabien Roussel, le leader communiste a partagé son mécontentement de le voir en tête d’affiche sur une liste de la Nouvelle Union Populaire. Le communiste évoque la condamnation de Taha Bouhafs pour injure raciale comme raison d’invalider sa candidature.
Pourtant, pour la France Insoumise (FI), il est le candidat idéal. Issu d’un milieu populaire et immigré, Taha Bouhafs a été proposé dans les circonscriptions multiculturelles et populaires de la région lyonnaise. Un bon moyen de convaincre les électeurs de ces zones, qui pourraient être tentés de bouder les urnes.
François Ruffin, député sous l’étiquette FI, expliquait sur le plateau de France 2 ce besoin d’avoir des candidats issus de la diversité. “Je souhaite que l’Assemblée nationale soit représentative de la diversité de la société française et on peut considérer que Taha Bouhafs représente une partie de la sensibilité de la population française.” Toutefois, ce sentiment n’est pas partagé par tous dans le parti de Jean-Luc Mélenchon. Certains membres auraient été gênés de voir Taha Bouhafs investi.
La pression politique et populaire a été trop forte, Taha Bouhafs a préféré retirer sa candidature. “J’ai sous-estimé la puissance de ce système quand il veut vous broyer. J’aurais aimé tenir bon, j’aurais aimé vous rendre fiers. Vous tous qui, comme moi, “ne sont rien”. Vous que j’ai décrit dans mon livre, vous qui avez trouvé dans le militantisme une raison de continuer à espérer, dans ce monde si égoïste”, a expliqué ce mardi matin Taha Bouhafs dans un communiqué.
Malgré le soutien du chef de la France Insoumise, qui regrette d’ailleurs de ne pas “l’avoir assez protégé”, rien n’y fait : Taha Bouhafs est victime de son image.
Aucun droit à l’erreur pour des candidats ayant des liens avec l’étranger ?
Les arguments des politiques contre Taha Bouhafs ont-ils une valeur démocratique ? Il semblerait qu’il y ait une perception à double vitesse. Eric Zemmour, par exemple, a été condamné trois fois par la justice. La dernière condamnation en date l’a reconnu coupable d’incitation à la haine. Pourtant, il a pu aller au bout de la présidentielle avec des soutiens multiples et a obtenu près de 7% des voix lors du premier tour.
Taha Bouhafs est un Franco-Algérien originaire d’un milieu social populaire. Il n’a pas de diplôme mais a appris le métier de journaliste sur le terrain. Investi dans le milieu associatif, militant, il est aussi l’auteur d’un livre. Sauf que Taha Bouhafs ne fait pas dans la langue de bois, il n’hésite pas à provoquer, choquer et s’engager auprès de causes contestées en France.
Musulman assumé et défenseur de la liberté de pratiquer l’islam en France, Taha Bouhafs ne correspond pas vraiment à une image élitiste que l’on pourrait se faire d’un candidat aux législatives. Et encore moins à la tendance politique qu’a pris cette année électorale.
C’est de l’avis de nombreux personnages politiques de gauche qui ont dénoncé un traitement injuste de Taha Bouhafs en raison de ce qu’il représente.
Il faut dire qu’il y a comme une impression de déjà-vu. On se souvient en 2021 de Sara Zemmahi, candidate remplaçante LREM lors des élections départementales. La candidate, pourtant très impliquée dans sa région et le tissu associatif, avait déclenché un tollé en s’affichant sur une affiche électorale avec un voile sur la tête. Peu importe son parcours ou ses propositions. Elle avait été jugée inapte à se présenter – même en tant que remplaçante – à un scrutin républicain.
Se lancer dans la politique lorsqu’on est un jeune issu de l’immigration est un grand risque. On se retrouve vite lâché, voire broyé par un système qui ne fait pas de cadeau. D’autant plus que les législatives sont le cœur du jeu de placement politique.
Être candidat aux législatives et d’origine algérienne : un handicap ?
Si Taha Bouhafs a déchaîné les passions, c’est parce qu’il est un personnage médiatique et très militant. Qu’en est-il des autres candidats issus de la diversité ? Notamment ceux qui ont des liens avec l’immigration algérienne, l’une des plus importantes en France ? Un nom à consonance algérienne et/ou musulmane empêche-t-il de se présenter en toute liberté ?
Miriam Djabali, candidate indépendante, se présente dans le département de l’Essonne. Ses parents sont algériens, originaires de Kabylie. Ancienne candidate de la République En Marche (parti d’Emmanuel Macron) lors des dernières municipales, elle a préféré échapper à l’enfermement des partis politiques et a retiré sa candidature. Cette fois, elle se présente en tant que simple citoyenne sans parti. Malgré la difficulté d’une candidature sans appui politique ou encore financier – elle a choisi de financer sa campagne sur ses fonds propres – elle ne regrette pas son choix.
La candidate d’origine algérienne veut sortir du “cadre rigide” des partis politiques. Sa démarche lui a également permis d’évoluer en dehors “d’une politique fermée et même parfois colonialiste”. Le terme de “colonialisme” est cité par la candidate aux législatives pour expliquer que les personnes issues de la diversité sont souvent exploitées pour répondre à une image d’Épinal.
Elle qui est d’origine algérienne reconnaît que ce trait est souvent détourné au profit d’un discours électoraliste. Toutefois, elle ne sent pas que ses origines sont un handicap ou à l’inverse un atout. Mais parce que c’est son choix. Elle refuse tout cadre.
Miriam Djabali estime qu’en réalité en regardant de plus près, “il y a beaucoup de personnes issues de la diversité présentées dans ces législatives. Surtout dans le sud, dans des villes comme Marseille, ou encore en région parisienne dans des communes où on trouve davantage de communautés étrangères.”
La candidate d’origine algérienne souligne toutefois un point important dans le recours à des personnes ayant des liens avec l’immigration.
“C’est dommage de mettre ces profils seulement dans des territoires où il y a des communautés étrangères comme s’ils allaient jouer les bergers. Là c’est franchement une utilisation négative. C’est purement électoraliste, la stratégie est de gagner des élections. En revanche, si c’est un réel besoin de trouver quelqu’un d’enraciné dans le territoire, qui connaît les problèmes locaux et pourra apporter une réponse adaptée, oui c’est intéressant. Par exemple, moi je suis ancrée dans ma circonscription, c’est ce qui compte.”
Miriam Djabali vient avec un projet pour ses concitoyens. La candidate refuse de jouer la carte algérienne ou communautaire pour gagner des électeurs, ce n’est pas le propos. “Je ne voulais pas jouer le porte-drapeau”, affirme-t-elle. Une démarche difficile lorsque l’on est souvent ramené à ses origines. Elle reconnaît que son niveau d’éducation, son statut professionnel et son physique plus “passe-partout” l’aident à mieux intégrer le paysage politique.
“Souvent on pense que parce qu’on est issu de la diversité et surtout algérienne – parce qu’il y a un imaginaire particulier autour de ce pays – et bien on part du principe qu’on est de gauche. Pas du tout, personnellement je suis dans un esprit libéral. Mon inspiration est le mouvement simple de Gaspard Koening. Je suis pour une simplification des institutions”, admet Miriam Djabali pour démonter un énième cliché de la vie politique.
“Finalement, à droite on a moins de problèmes avec la diversité. Par exemple, on verra plus de personnes issues de la diversité chez Les Républicains. C’est chez la gauche que c’est un sujet problématique. On opte pour une diversité de façade. On va choisir des candidats de la diversité seulement pour cet argument, pas pour leurs compétences”, estime Miriam Djabali, pour qui il faut se concentrer sur les acquis, le regard de ces personnes avant de considérer l’image qu’ils peuvent dégager.
Miriam Djabali est convaincue que des candidats issus de la diversité ont beaucoup à donner grâce à une culture diverse qui permet d’offrir un regard différent sur la vie de la cité. Il faut seulement leur donner une réelle chance de s’impliquer.