Le politologue Mansour Kedidir revient dans cet entretien sur les résultats des législatives du 12 juin, notamment le retour du duo FLN – RND et la percée des indépendants.
Les résultats des législatives ont été dévoilés mardi 15 juin. Que révèle selon vous le taux très élevé de boycott de ce scrutin ?
Le taux d’abstention (près de 70 %) est révélateur de la désaffection des électeurs. Même les représentants des partis qui ont participé à la joute n’ont pas hésité à souligner la défection des citoyens. Cet aspect est un marqueur de la crise politique latente.
Le FLN est arrivé en tête du scrutin avec 105 sièges, suivi des indépendants (78 sièges), du MSP (64 sièges) et du RND (57 sièges. Le retour des partis comme le FLN et RND, qui ont soutenu le régime de Bouteflika jusqu’à sa chute, est-il une surprise ?
La plupart des observateurs ont prédit la défaite électorale du FLN et du RND. Les résultats du scrutin viennent de montrer le contraire.
Deux raisons l’expliquent. En premier, le FLN est le plus vieux parti d’Algérie. Ancré dans le conscient collectif, en particulier dans l’Algérie profonde, il est difficile de faire disparaître son image quand bien même le bilan de ses élus est jugé, souvent, catastrophique.
Quant au RND, longtemps soutenu par les pouvoirs publics, il est arrivé à s’enraciner dans la société. Pour la seconde raison, les deux formations, présentes dans toutes les assemblées locales et même dans les administrations, devancent les autres par leurs réseaux et leurs soutiens locaux.
En outre, forgées dans un discours populiste maniant des ingrédients puisés de la guerre de libération et des luttes tribales, elles ne peuvent, à terme, perdre leurs électorats.
Pour les partisans du statu quo, le maintien de la place de ces deux partis dans le paysage politique est encore nécessaire pour la stabilité du régime.
Qu’en est-il des indépendants, devenue la deuxième force politique à l’APN, derrière le FLN ?
Au sujet des indépendants, le fait qu’ils aient pris un nombre important de sièges, par rapport aux élections de 2017, est dû à plusieurs facteurs. Le premier, le plus important découle de la volonté manifeste des autorités d’encourager la société civile vers la création d’un parti.
À partir des représentants du mouvement associatif, proches de l’administration, cette perspective est réalisable. Ce but n’est pas encore atteint. Néanmoins, ils peuvent engranger quelques postes dans les commissions et même au gouvernement. Tabler sur ce courant dénote une logique de briser le Hirak et faire des indépendants une force politique. Nous pensons que dans cette mixture, on s’est trompé sur le produit et les réactifs.
D’évidence, l’Assemblée peut paraître hétéroclite. Cependant, si on examine de près la répartition des sièges, on se rend compte que l’actuelle composante reconduit l’ancienne.
Nous avons toujours les deux partis, le FLN et le RND. Les autres, plus particulièrement le MSP, présents au gouvernement depuis longtemps, et Al Bina, accepteront avec ferveur de faire partie du nouvel attelage gouvernemental.
Dans la nouvelle configuration, il ne faut pas oublier que les indépendants auront une place importante. Il y a lieu de préciser, dans ce cadre, qu’ils ont été aidés pour conquérir le nombre de 78 sièges, mais aussi pour devenir le nouvel étalon dans les prochaines courses.
Le parti Jil Jadid qui a prôné le changement du régime de l’intérieur n’a récolté qu’un seul siège. Un échec pour ce parti ou bien s’agit-il de l’échec de cette approche de changement de l’intérieur ?
En premier lieu, c’est un nouveau parti. Son chef a vu son ascension médiatique grâce à ses positions contre le 5e mandat de l’ancien président Bouteflikan, et sur le Hirak à ses débuts. En plus, c’est un parti qui n’a pas élargi sa base.
En second lieu, il nous semble que c’est une formation qui repose uniquement sur l’image de son chef. Son échec s’explique dans sa volteface politique. Contrairement aux autres formations qui ont su garder une distance par rapport à la politique du Président, notamment en matière de réformes politiques, et aux marches du Hirak, il s’est empressé de soutenir le changement déclaré avec fougue.
Pour l’opinion publique, la réversibilité d’une ancienne figure du Hirak est condamnable à plus d’un titre. En plus d’une image noircie par les réseaux sociaux, son discours, pareil à une rhétorique hors temps, lui répercute sa propre voix.
Les résultats des législatives ont été rendus publics 72 heures après la tenue du scrutin. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que la machine de l’ANIE n’est pas bien huilée par rapport à celle du Ministère de l’Intérieur. Néanmoins, elle présente plus de garanties pour le scrutin. Il faut du temps pour qu’elle arrive à un fonctionnement efficace.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces élections se sont déroulées dans un climat politique tendu. En plus, dans ce type de scrutin, l’électorat au niveau des wilayas est traversé par des luttes tribales et d’intérêts.
Ce qui explique d’une certaine manière, le comportement déchaîné de certains candidats, leurs frictions, et les réactions non contrôlées de certains chefs de partis.
Certaines commissions de l’ANIE au niveau des wilayas n’ont pas pu faire face aux problèmes survenus. Cela prouve que les anciens réflexes de certains groupes de pression n’ont pas totalement disparu.
Habitués au bourrage des urnes et à la manipulation des résultats, ils ont encore une fois tenté d’exercer leur diktat sur les membres des commissions électorales.