Abdel Fattah Al Sissi a été investi, samedi 2 juin, président de l’Égypte pour un nouveau mandat de quatre ans. Il a été réélu en mars dernier avec 97,08% des voix dans un scrutin sans opposition.
Depuis sa première élection en 2014, avec un score tout aussi stalinien de 96,6%, les grands chantiers auxquels devaient s’attaquer le président égyptien étaient d’abord la sécurité avec la menace djihadiste qui planait sur l’Egypte et le redressement d’une économie ravagée après les soulèvements populaires de 2011 et la chute du régime Moubarak.
Quatre ans après, quel est le bilan d’Abdel Fattah al-Sissi, sur les plans politique, économique, sécuritaire et de la politique étrangère ?
Répression tous azimuts et fermeture du champ politique
Après la crise ayant mené à l’éviction de Mohamed Morsi en juillet 2013 de la présidence de l’Égypte, une féroce répression s’abat sur la confrérie des Frères musulmans avec l’arrestation et l’emprisonnement de milliers de ses membres dont son chef, Mohamed Badie. Le point d’orgue de cette répression a été l’attaque, en août de la même année, par les forces de sécurité égyptienne de deux camps de manifestants pro-Morsi sur les places Rabia el Adouïa et al-Nahda, occasionnant la mort de 638 personnes (dont 595 civils et 43 policiers) et 3994 blessés. A l’époque des faits, Al-Sissi était ministre de la Défense et avait pris une part active dans la décision de l’évacuation de ces camps. Aucun responsable égyptien n’a jamais été inquiété pour ce massacre.
Mais la répression ne va pas se limiter aux seuls Frères musulmans. Au nom de la stabilité et de l’unité nationales, Al-Sissi s’est employé, dès son élection en 2014, à museler toute opposition, qu’elle soit islamiste ou libérale, en emprisonnant des centaines de voix jugées discordantes. Cette répression, accompagnée de détentions arbitraires et de tortures par les services de sécurité selon Human Rights Watch, a aussi visé des activistes de la société civile dont le champ d’action a été considérablement rétréci avec l’adoption de lois très restrictives sur les associations.
D’ailleurs beaucoup de candidats à la dernière présidentielle s’étaient retirés à la suite de pressions. D’autres ont été soit écartés soit arrêtés. L’investiture d’Al-Sissi elle-même s’est déroulée dans un contexte d’arrestations d’opposants et d’activistes de la société civile pour éviter toute protestation. Celle-ci se nourrit d’ailleurs des frustrations engendrées par le contexte économique égyptien.
Un contexte économique difficile
À l’arrivée d’Al-Sissi au pouvoir, l’Égypte était en quasi-faillite après des décennies de gabegie sous l’ère Moubarak et trois années de très fortes instabilités après la chute de l’ancien régime en 2011. Cela a affecté les principales sources de devises de l’Egypte avec un tourisme en berne en raison de l’insécurité ; une baisse des revenus tirés des droits de passage du canal de Suez ; le déclin de la production pétrolière et une chute importante des envois en devises de la diaspora égyptienne.
L’Égypte était également confrontée à un déficit budgétaire de 12% du PIB, une baisse des réserves de change et des exportations en chute libre. En conséquence l’État ne pouvait plus assurer les nombreuses subventions sur les produits de base, l’eau, l’électricité et les carburants.
L’Égypte, qui avait bénéficié de 23 milliards de dollars de prêts de la part de différents pays, notamment du Golfe, des États-Unis et de l’Union européenne mais aussi de la Turquie et de la Libye, s’est résolue en août 2016 à contracté un prêt de 12 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI). En échange, le gouvernement égyptien a dû supprimer une grande partie des subventions, instaurer une TVA à 13% et dévaluer sa monnaie, la livre, de plus de la moitié de sa valeur qui est passée de 8,8 à 18 livres pour un dollar.
Sur le plan macro-économique, le plan du FMI a donné des résultats satisfaisants avec une accélération du taux de croissance (3,5% en 2016 et 4,8 en 2017), une baisse du déficit à 10% grâce à des recettes budgétaires en hausse de 31,8%, et une augmentation des réserves de devises alors que la livre se stabilise. Les réacteurs de la croissance que sont le tourisme, les exportations et les envois des travailleurs égyptiens à l’étranger repartent à la hausse. L’investissement étranger aussi revient avec la signature pour 35 milliards de dollars d’investissement privés lors d’une conférence sur l’avenir de l’Égypte en mars 2015.
Pour le citoyen égyptien, la potion du FMI est amère car les prix de tous les produits de base explosent avec une inflation à 35% en juillet 2017. Les prix du poulet du riz ont doublé alors que celui du sucre a quadruplé tandis que les prix de l’eau potable et de l’essence ont augmenté de 50%.
Ne pouvant exprimer sa frustration trop bruyamment dans la rue au vu de l’ampleur de la répression, le citoyen égyptien a exprimé son mécontentement lors de la dernière élection présidentielle en s’abstenant de voter. Ni la nourriture distribuée dans les bureaux de vote, ni le soudoiement d’électeurs et encore moins les menaces d’amendes aux abstentionnistes n’a réussi à faire augmenter un taux de participation qui s’est établi à 40%.
Un terrorisme bien implanté
Depuis le début des troubles dans le pays, l’Égypte a connu des attentats extrêmement sanglants ayant fait des centaines de morts, le plus spectaculaire ayant été celui perpétré contre une mosquée soufie dans le Sinaï en novembre 2017 qui a fait 305 morts. Cet attentat a signé l’échec de la politique sécuritaire égyptienne puisque cela a montré que malgré tous les efforts qui sont déployés, surtout au Sinaï depuis 2014, le terrorisme frappe toujours aussi fort. D’ailleurs dans le Sinaï, où l’armée égyptienne mène une véritable guerre aux terroristes avec le déploiement de moyens humains et matériels très importants, l’organisation terroriste Daech semble y être bien implantée, surtout après sa défaite en Irak et en Syrie.
Au nord du Sinaï, sous état d’urgence depuis 2014, plus de 1000 membres de sécurité ont été tués dans des centaines d’attaques qui ont atteint le nombre de 200 en 2017.
En février 2018, l’armée égyptienne a lancé une opération anti-terroriste d’envergure, baptisée « Sinaï 2018 », pour renverser la vapeur. Cette opération est accompagnée d’un maillage strict de la région avec interdiction pour les civils de sortir ou d’entrer des centres urbains sans autorisation et l’arrivée de vivres pour la population se fait au compte-goutte. Et selon une loi adoptée en 2015, il est interdit aux citoyens de s’écarter du discours officiel sous peine d’emprisonnement.
Mais le problème au Sinaï est plus profond. Cette région a souvent été laissée pour compte par tous les présidents égyptiens successifs qui ne la mentionne pour célébrer sa libération de l’occupation israélienne. Les forces de sécurité égyptienne qui ne connaissent pas le terrain, traitent les locaux avec mépris et hostilité. Pour Al-Sissi, ancien patron des services de renseignement égyptien, qui a fondé sa légitimité sur la sécurité, sa politique sécuritaire est un échec.
Politique étrangère : un allié des pays du Golfe et des Occidentaux
Le président égyptien demeure un allié incontournable des pays du Golfe et des Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme et dans la lutte d’influence contre l’Iran.
Sur le terrorisme, malgré les nombreuses violations des droits de l’homme du régime de son président, l’Égypte a la possibilité d’acheter des armements sophistiqués auprès de pays occidentaux comme les 24 avions Rafales achetés à la France en 2015, grâce aux généreuses donations de ses alliés du Golfe.
L’Égypte est d’ailleurs totalement alignée sur la politique anti-iranienne de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe, apportant son soutien à chacune de leurs décisions, comme l’embargo sur la Qatar et la coalition armée contre les Houthis au Yemen.
Cela illustre le peu d’autonomie de la politique étrangère égyptienne comme c’est le cas sur la question palestinienne. L’Égypte, qui a signé un traité de paix avec Israël en 1979, participe au blocus sur la bande de Gaza en maintenant fermé le passage de Rafah au Sinaï depuis 2007. Celui-ci a été rouvert pour la première fois en novembre 2017 pour 3 jours et a été laissé ouvert pour le mois de Ramadan cette année.
On se souvient aussi de la rétractation de l’Égypte en décembre 2016 au Conseil de sécurité où elle venait de présenter un projet de résolution condamnant la colonisation israélienne, suite à un simple coup de téléphone du président élu Donald Trump, alors que celui-ci n’était même pas encore entré en fonction. Ce projet de résolution, repris par le Sénégal, la Malaisie et la Nouvelle-Zélande, a finalement été adopté par 14 voix et une abstention, celle des États-Unis de Barack Obama…