Toutes les campagnes menées par son employeur et les organisations de journalistes et de défense des droits de l’homme pendant plus de quatre ans n’ont pas suffi pour faire libérer Mahmoud Hussein, journaliste d’Al Jazeera détenu sans jugement en Égypte depuis décembre 2016.
À la surprise générale, le journaliste a été remis en liberté le 4 février au soir, toujours sans procès. Effet de la nouvelle politique américaine qui se profile au Proche-Orient à la faveur de l’élection de Joe Biden ?
Hussein a été arrêté en décembre 2016 et accusé de diffusion de fausses informations, mais il n’a jamais été formellement inculpé, ni jugé ni condamné. Les autorités judiciaires égyptiennes se sont contentées de renouveler à chaque fois son mandat de dépôt.
De nationalité égyptienne, Mahmoud Hussein vivait au Qatar jusqu’en 2010, lorsque la chaîne Al Jazzera pour laquelle il travaillait l’a affecté comme correspondant au Caire. C’est en cette qualité qu’il a couvert les événements mouvementés qu’a connu l’Égypte pendant la première moitié de la dernière décennie : la révolution qui a mis fin au règne de Hosni Moubarak en 2011, la montée au pouvoir des islamistes du mouvement des Frères musulmans en 2012 puis le coup d’État de l’actuel président Abdel Fattah al Sissi.
La chaîne qatarie a toujours été dénoncée en Égypte pour son parti pris en faveur des Frères musulmans et Mahmoud Hussein a dû subir des pressions, des menaces et des agressions. Son employeur l’a rapatrié au Qatar mais en rentrant en Égypte en décembre 2016 pour rendre visite à sa famille, il a été arrêté.
Pendant toutes ces années, les autorités égyptiennes sont restées inflexibles devant les nombreuses campagnes menées pour sa libération, lui refusant même d’assister à l’enterrement de son père décédé en 2019.
L’accusation de diffusion de fausses informations n’ayant jamais pu être prouvée, aucun procès n’a été programmé. Sa remise en liberté, comme son arrestation, obéissent donc à des considérations politiques, estiment les observateurs.
Avant même l’embargo que décrèteront en juin 2017 l’Égypte et les États du Golfe contre le Qatar, ce petit émirat était désigné du doigt pour son soutien à ce que ces pays considéraient comme des « organisations terroristes », principalement celle des Frères musulmans. Parmi les conditions posées au Qatar pour éviter l’embargo, la fermeture de la chaîne Al Jazzera.
Victime collatérale de la crise avec le Qatar
Le journaliste a été une victime collatérale de ce bras de fer. La preuve, sa libération survient dans un contexte de dégel des relations entre les deux parties. Début janvier, l’embargo a été levé après trois ans et demi et les deux parties ont entamé le processus d’un retour à des relations normales.
L’émir du Qatar a même assisté le 5 janvier au Sommet du Conseil de coopération du Golfe en Arabie Saoudite. Beaucoup voient dans ce dégel et la libération du journaliste Mahmoud Hussein les premières conséquences dans le monde arabe de l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche à Washington.
Avant même son élection, le démocrate avait promis une politique différente de celle de son prédécesseur Donald Trump. Celui-ci s’est distingué par son indulgence vis-à-vis des régimes autocratiques de la région, refusant notamment de prendre des sanctions contre l’Arabie Saoudite suite à l’assassinat du journaliste Jamel Khashoggi dans un consulat saoudien en Turquie.
Du président égyptien, Trump disait qu’il était son « dictateur préféré ». Biden, lui, a promis une autre ligne et les premières décisions prises depuis son entrée en fonction le 20 janvier cadrent avec ses engagements électoraux.
Après avoir suspendu les ventes d’armes au royaume, il a officiellement annoncé jeudi qu’il met fin au soutien américain à l’Arabie saoudite dans sa guerre au Yémen.
C’est vraisemblablement pour ne pas avoir à le faire sous la pression de la nouvelle administration américaine que les autorités égyptiennes ont pris la décision de remettre en liberté le journaliste Mahmoud Hussein après plus de quatre ans d’intransigeance.
Les régimes autoritaires du monde arabe qui ont profité de l’ère Trump pour renforcer leurs pouvoirs, réprimer les mouvements de contestation et réduire considérablement la liberté de la presse dans leurs pays.
Selon un classement établi par The Economist sur la démocratie dans le monde en 2020, l’Égypte et l’Arabie saoudite figurent dans la pire catégorie des régimes autoritaires.