Selon vous, la communication officielle est-elle à la hauteur de l’enjeu que représente la pandémie du coronavirus ?
Mohamed Cherif Amokrane, auteur, formateur et stratège en communication de crise. En réalité, la communication – surtout durant les périodes sensibles – est totalement dépendante de la gestion, sauf bien sûr si la situation en question n’exige pas d’intervention sur le terrain, comme les bad buzz par exemple pour lesquels la gestion est souvent purement communicationnelle. Bien sûr, ce n’est pas le cas actuellement. Au contraire, l’épidémie du Covid-19 nécessite des mesures sur le terrain pour endiguer la menace. Elle nécessite aussi une communication adaptée et qui soutient les efforts sur le terrain. Donc, quand vous n’avez pas une prise de conscience suffisante et précoce sur le terrain, la communication va suivre la même tendance.
Pour revenir à la communication officielle, lorsque la menace était naissante chez nous, on aurait pu comprendre les mesures « timides » qui consistaient à donner les informations basiques. Mais après, deux facteurs sont apparus : d’abord nous avons eu des cas chez nous en Algérie. Et puis, nous constatons que même les personnes informées, c’est-à-dire celles qui ont été exposées aux messages de sensibilisation, n’ont pas adopté les bons comportements. C’est pour ça qu’il aurait fallu passer à un autre niveau de communication, une communication persuasive qui démarre du vécu des Algériens, leurs idées reçues, les rumeurs auxquelles ils croient, les motivations qu’on peut actionner, les freins psychologiques qui les empêchent de changer leurs comportements… À ce propos, qui d’entre nous ne serait pas gêné de marcher avec un masque au milieu de la rue ?
Sur un autre plan, le ministère de la Santé n’a pas intégré l’idée que les journalistes doivent être des alliés. Il faut satisfaire leurs demandes d’information, en dehors des conférences et points de presse insuffisants.
Enfin, les pouvoirs publics n’ont pas réussi à occuper les réseaux sociaux par un contenu adapté.
Est-ce que les Algériens ont sous estimé la menace du coronavirus ?
Le manque de confiance est une réalité, et pour qu’une communication soit efficace, le public doit percevoir une crédibilité dans le message et chez le messager. Mais l’inconscience est bien là et elle fait peur. Il ne faut pas oublier que nous parlons d’un phénomène planétaire – c’est pour ça que ça s’appelle une pandémie d’ailleurs – je trouve donc exagérée la méfiance de certains. Si les autorités avaient déclaré que l’Algérie est le seul pays à avoir été épargné, elles auraient été moquées et critiquées.
Il est possible que les Algériens perçoivent le risque comme étant trop abstrait pour eux, c’est ce qui les pousse à être aussi insouciants. Surtout que jusqu’à présent, la plupart d’entre eux n’ont pas encore constaté l’épidémie dans leurs entourages ou dans leurs villes. D’ailleurs, ce n’est pas le cas de certains habitants de Mascara par exemple, qui ont pris la mesure du risque dès que le virus a sévi dans leur ville.
D’autres facteurs peuvent expliquer cette négligence, à l’image des codes sociaux difficiles à contourner, les fake news qui donnent un faux sentiment de sécurité et, il faut le dire, un certain égoïsme chez ceux qui ne se soucient pas des dégâts qu’ils peuvent causer aux personnes vulnérables.
N’aurait-il pas été mieux que les professionnels de la santé prennent le relais des politiques dans le travail de sensibilisation ?
Je ne suis pas pour le retrait des politiques. Malgré les problèmes liés à la confiance, leur participation est indispensable. Une situation sensible ou de crise exige de l’autorité et une prise de responsabilités. En plus, l’absence totale des premiers responsables peut être inquiétante, car elle donnerait le sentiment que le problème est négligé.
Cela dit, les professionnels de la santé ont effectivement un rôle très important à jouer. Ils sont en contact direct avec la population et ils jouissent d’un capital confiance dans leurs milieux. Ils doivent relayer les messages médiatiques et les expliquer, ils savent le faire, c’est leur quotidien.
Au-delà des professionnels de la santé, la société civile et la communauté académique doivent aussi jouer un rôle dans la sensibilisation.
Quelles sont les mesures que vous recommandez pour les Algériens ?
Je leur recommande d’appliquer les conseils de l’OMS et du ministère de la Santé. En effet, même si le ministère ne communique pas de la meilleure des façons, ça reste une source d’information fiable. Je leur demande aussi de résister au flux d’informations qu’ils reçoivent sur les réseaux sociaux. Il faut avoir le réflexe de vérifier les informations et de ne pas partager n’importe quel contenu. Ils peuvent aussi appeler le 3030 à chaque fois qu’ils ont un doute, j’ai testé le service plus d’une fois et j’ai constaté un bon accueil et une bonne prise en charge de mes préoccupations. Enfin, ils peuvent s’adresser aux médecins de confiance.
D’autres conseils doivent être diffusés par les différents ministères : quelles sont les précautions qu’un restaurateur doit prendre ? Qu’en est-il du chauffeur de bus ? Et la personne qui pense être contaminée, doit-elle prendre le transport en commun, appeler un taxi ou appeler une ambulance ? Il faut partir du principe que rien n’est évident pour le citoyen, et indiquer les démarches à suivre pour chaque situation.