Politique

Les 3B et la malédiction Abane

Chronique livresque. Aujourd’hui le mouvement du 22 février veut le départ de ce qu’il appelle les 3B (Bensalah-Belaiz-Bedoui) , en référence certainement aux 3B de la guerre d’indépendance.

Si malicieux qu’il soit, ce clin d’œil à l’histoire libère la mémoire collective qui n’a pas oublié les pratiques des 3B originaux qui n’ont pas fait que du bien à leurs frères d’armes. A côté d’eux, les 3B d’aujourd’hui font figure d’enfants de chœur. Rien à voir avec les 3 fameux B qui ont imposé leur diktat aux chefs de la Révolution.

B, Comme Krim Belkacem, ex-patron de la wilaya 3, B, comme Abdelhafid Boussouf, ex-chef de la wilaya 5, B, comme Lakhdar Bentobbal, ex-chef de la wilaya 2. Ils étaient unis dans la même détestation des civils, eux qui n’ont pas tiré un seul coup de feu depuis leur départ à l’étranger : Tunis, le Caire et Oujda.

Les 3 B ne savaient pas négocier, ils ne savaient que donner des ordres, des ordres musclés toujours guidés par leur faim du pouvoir. Leur ligne de conduite était simple : celui qui n’est pas avec nous est contre nous. Pire encore : celui qui n’est pas avec nous à 100% est un traître caché.

Unis, vraiment ? Pas tout à fait. Souvent Belkacem se retrouvait seul face au duo Bentobbal-Boussouf, mais ils dépassaient leurs contingences personnelles face à leurs rivaux. L’union fait la force, on le sait bien. Les 3B avaient en horreur, les intellectuels et plus généralement tous les civils qui aiment ergoter et dialoguer. Il n’y a d’autres dialogues pour eux que celui des armes, partant du principe bien compris, que la loi du plus fort est toujours la meilleure.

Abane, victime des 3B impitoyables

Abane si fort dans le CCE historique à cinq avec Ben M’Hidi, Dahlab, Belkacem et Benkhedda perdit de son influence dès que le CCE (Comité de Coordination et d’Exécution) fut élargi à d’autres membres choisis à la loupe par le lobby tout puissant des 3B : Mahmoud Cherif, Debaghine, Mehri, Ouamrane, Bentobbal, Boussouf, Abbes auxquels il faudrait ajouter les deux membres du précédent CCE : Abane et Belkacem.

Sur les 9 membres, 5 étaient unis comme les doigts d’une seule main : Ouamrane, Belkacem, Bentobbal, Boussouf et Ouamrane. La liste des membres du CNRA (Conseil national de la Révolution Algérienne) arrêtée par le Congrès de la Soummam fut revue sur une base clientéliste au service des 3B qui nommèrent et dégommèrent qui bon leur semblait.

Le congrès de la Soummam décréta la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, le nouveau CNRA du Caire décida du contraire, et pour cause : primauté de l’extérieur sur l’intérieur. Cette hérésie fut combattue par quelques voix dont celle d’Abane, mais sans Ben M’Hidi, il était en position de faiblesse. D’ailleurs, il se retrouva rédacteur en chef d’El Moudjahid. Quant à Dahlab et Benkhedda, exclus du CCE, ils firent les morts. En tant qu’ex-centralistes, ils avaient tellement à se faire pardonner aux yeux des autres.

Même écarté, même esseulé, Abane continua à dénoncer les dérives du trio qu’il tenait en piètre estime en ne cachant pas son dédain. Il lui arriva même de rabrouer le puissant Boussouf, patron de la redoutable police de la Révolution. Ne pouvant circonscrire cet incorruptible que la médiocrité rendait fou, les 3 B l’assassinèrent dans une ferme près de Tétouan. Si le maître d’œuvre était Boussouf, quatre autres membres trempèrent dans ce crime qui décapita la Révolution de sa tête pensante : Ouamrane, Mahmoud Cherif, Krim Belkacem et Lakhdar Bentobbal.

Mais si les 3 B dormaient dans un même lit, celui de l’ambition, ils n’avaient pas les mêmes rêves, chacun voulant prendre le dessus sur les autres si bien qu’ils s‘annihilèrent. En fait, Krim se retrouva constamment face au duo Bentobbal-Boussouf, autrement plus rusés.

Boumediène, l’homme qui “vengea” Abane

N’ayant aucune vision de l’Algérie indépendante à cause essentiellement de leurs appétits immédiats de pouvoir ainsi que de leur faiblesse intellectuelle, les 3 B ne profitèrent pas de leurs crimes. Ils connurent ce qu’on pourrait appeler la malédiction d’Abane.

Elle prit la forme d’un jeune militaire silencieux et déterminé: Houari Boumediène dont le parrain était Boussouf qui ne se privait pas de le gifler. Boumediène ravalait sa haine sachant que la vengeance est un plat qui se mange froid.

Telle une araignée, il tissa sa toile si bien qu’il fit de l’état-major Général (EMG) le plus puissant levier de pouvoir qui lui permit d’écarter les 2 B les plus redoutables à ses yeux : Krim Belkacem, vice-président du GPRA et surtout ministre des Forces Armées ainsi que Boussouf, ministre des Liaisons générales et des Communications dans le GPRA.

A l’indépendance, animal à sang froid, il ne fit qu’une bouchée des 3B. Lui qui n’avait rejoint la Révolution qu’en 1956, il bouta hors des cercles du pouvoir ceux qui avaient plus de légitimité que lui. De Bentobbal il en fit un PDG d’une boîte nationale, de Boussouf qu’il connaissait sur le bout de ses doigts, il surveilla les moindres faits et gestes. Même quand celui-ci s’était reconverti dans les affaires, il ne relâcha pas, pour autant, sa surveillance, veillant à ce que cet homme aussi secret que lui et qui fut à un certain moment son père de substitution, garde sa langue.

Du troisième B, Krim Belkacem, il en fit un mort en 1970 dans une chambre d’hôtel de Francfort.

C’est ainsi que peut-être sans même y penser, Boumediène, que Abane n’aurait peut-être pas apprécié tant il avait une sainte horreur des militaires hégémoniques, fit justice à celui qui fut étranglé par ses faux frères.

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