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Les Algériens consomment « trois fois plus de lait » que les Français

Les Algériens consomment « trois fois plus de lait » que les Français

L’Algérie a conclu fin avril, avec le Qatari Baladna, un accord pour la réalisation d’une ferme géante de 270.000 vaches dans le désert. Le projet vise à réduire les importations et la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger en matière de lait.

Le développement de cette exploitation géante devrait se faire sur neuf années pour un investissement de 3,5 milliards de dollars.

Une première phase devrait permettre la production de fourrage puis une seconde permettre d’accueillir en 2026 un premier lot de 50.000 vaches laitières et de monter les lignes de production de lait en poudre.

Au terme du projet, ce sont 270.000 bovins qui devraient être accueillis au niveau de plusieurs étables et permettre une production de 1,7 milliard de litres de lait par an.

Algérie : une consommation étonnante de lait

Le 11, lors de la journée des marchés mondiaux, Christine Goscianski de l’Institut de l’élevage indiquait, selon le site web-agri, « les Algériens consomment en moyenne 150 litres de lait par an par habitant, contre environ 40 l/an/habitant en France ».

Cette consommation importante est due en partie au fait qu’en Algérie, le lait est subventionné par l’Etat. Il est vendu dans des sachets d’un litre au prix de 25 dinars. Le lait en brique de différentes marques ne bénéficie pas de la subvention de l’Etat. Il est à 130 dinars le litre.

Selon le Centre de documentation méditerranéen Ciheam Montpellier en France, les besoins de l’Algérie s’élèvent à six milliards de litres de lait par dont

Cette consommation importante s’explique, en partie, par le faible coût des protéines du lait par rapport aux prix de la viande en Algérie. Le lait reste un produit largement à la portée des familles algériennes qui peuvent le consommer sous différentes formes.

Il faut également compter avec la forte consommation de fromage notamment sous forme de 20.000 T/an de fromage fondu majoritairement produit à partir de poudre de lait importée.

Le lait n’est pas le seul produit fort consommé en Algérie, c’est également le cas du sucre. En 2023, l’Organisation de protection et orientation du consommateur et son environnement (Apoce), indiquait que « la consommation de sucre par habitant est estimée à 42 kg/an en Algérie, contre une moyenne mondiale de 23 kg/an, alors que l’Organisation mondiale de la santé recommande que la consommation de sucre ne dépasse pas 10 kg/personne/an ».

Le poids de la facture d’importations de biens alimentaires

Malgré une augmentation de la production agricole algérienne, le lait, les céréales, l’huile et le sucre sont des produits subventionnés qui restent largement importés.

La facture annuelle des importations de produits alimentaires s’établit entre 9 et 10 milliards de dollars ce qui fait que 70% des calories de la ration alimentaire restent importées.

Les productions vivrières locales et ces importations permettent de fournir aux consommateurs locaux une ration alimentaire moyenne de 3.000 kcalories par jour contre 2.200 selon les normes conseillées par la FAO. Une situation qui se traduit par un développement des maladies métaboliques : diabète, hypertension et hypercholestérolémie.

Selon l’enquête nationale, Transition and Health Impact in North Africa (Tahina) réalisée en 2005 en collaboration avec l’Union européenne « les Algériens mangent mal ».

Pour la chercheuse Ouassila Salemi, « la consommation alimentaire quotidienne ne respecte pas les recommandations internationales de santé. Elle est jugée faible en fruits et légumes : 0,6 fruit par jour au lieu des 2 portions recommandées et 0,8 légume par jour au lieu des 3 portions recommandées ».

Par contre, la consommation des produits gras et sucrés est au-delà des normes : 2,7 portions-jour contre une portion recommandée. Une situation qui s’accompagne de surpoids.

Une autre enquête réalisée en 2017 par le ministère algérien de la Santé révèle que plus de 14 % des Algériens souffrent de diabète, contre 8 % il y a une quinzaine d’années.

Selon l’International Diabetes Federation, 2,4 millions d’Algériens seraient atteints de diabète. Comme une personne sur deux ignore être atteinte, ce nombre pourrait être deux fois plus élevé. Le chiffre de 9 millions de diabétiques à l’avenir est pronostiqué par certains spécialistes de la santé.

Les dépenses allouées par l’Algérie pour la prise en charge des diabétiques sont évaluées à 300 millions de dollars. En 2018 à Boufarik, en partenariat avec Saidal, le groupe Novo Nordisk a lancé la construction d’une usine de fabrication d’insuline, pour un investissement de 73,4 millions de dollars.

Cette situation n’est pas propre à l’Algérie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 70 % des habitants des Emirats arabes unis sont en situation de surpoids et un tiers des Saoudiennes et des Qatariennes de plus de quinze ans sont obèses.

Tentative de changement de modèle

Cette situation de dépendance vis-à-vis de l’étranger a amené les services agricoles algériens à développer les surfaces irriguées.

Ces dernières années, elles sont passées de 500.000 à 1,5 million d’hectares et permettent actuellement d’assurer les besoins locaux en fruits et légumes dont les pommes de terre, un produit aujourd’hui autant consommé que les céréales.

En 2018, le ministre de l’Agriculture et du développement rural indiquait que leur consommation était de 111 kg/an de pomme de terre, soit trois fois la moyenne mondiale, qui se situe à 31 kg.

Récemment, le président Abdelmadjid Tebboune a demandé aux services agricoles la relance de la culture de lentilles et de pois-chiche, des produits riches en protéines. À terme 150.000 hectares devraient permettre de couvrir la demande locale.

Dans le cas du lait, outre le projet de méga-ferme à Adrar, Youcef Cherfa le ministère de l’Agriculture et du développement rural, table sur le renforcement de la production de lait au Nord du pays avec un nouveau dispositif d’intégration du lait cru demi-écrémé.

En mai dernier, il a indiqué que ce dispositif de commercialisation du lait cru pasteurisé, demi écrémé subventionné serait conditionné en sachets afin d’encourager la production locale.

Autosuffisance ou sécurité alimentaire

L’objectif d’autosuffisance alimentaire fait l’objet de nombreux débats en Algérie. L’agroéconomiste Omar Bessaoud préfère parler de « sécurité alimentaire » dans la mesure où aucun pays au monde n’est autosuffisant.

Ce débat est très vif au niveau des monarchies pétrolières. Après un échec de la production locale de blé du fait de ressources en eau insuffisantes, l’Arabie saoudite s’est tournée vers l’achat et la location de terres en Ethiopie, en Californie et en Argentine tandis que le Qatar s’est tourné pour sa part vers le Soudan.

Pour ces deux pays riches du Golfe, il s’agit d’approvisionner en foin de luzerne et aliments concentrés les laiteries géantes d’El Maraï et de Baladna.

Les Emirats Arabes Unis adoptent la même stratégie. Jenaan, une firme émiratie produit des fourrages depuis 2007 en Égypte, Pakistan, Mozambique et au Soudan à travers la joint-venture Amtaar.

Dans le cas des investissements saoudiens, cette stratégie semble remise en question par des associations américaines qui s’inquiètent des prélèvements d’eau en Californie. Quant aux concessions agricoles possédées par l’Arabie saoudite en Ethiopie, elles sont l’objet d’attaques de la part des paysans expropriés.

La crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont également changé la donne. Des voix s’élèvent dans le royaume contre la stratégie d’externalisation de la production agricole vers des pays tiers.

Dans le cas de l’Algérie, la stratégie pour produire du lait consiste en la production des fourrages nécessaires aux animaux à partir de l’eau des nappes souterraines du Sahara.

Cette recherche d’alternatives aux importations n’est pas nouvelle. En 1980, le chercheur Dominique Badillo a consacré une étude prospective sur les stratégies alimentaires.

Après la comparaison de différents scénarios, il est arrivé à la conclusion qu’une ration à base de céréales et de protéines végétales était le moyen le plus réaliste afin de réduire la facture de biens alimentaires à l’horizon 2000.

Comme le souligne dès 2019 Matthieu Brun dans une étude consacrée aux monarchies pétrolières du Golfe : « La qualité nutritionnelle des aliments et la lutte contre les maladies cardiovasculaires et le diabète constituent le nouveau défi pour les politiques publiques et les systèmes de protection sociale ». Un défi que connaît également l’Algérie et qui s’ajoute à celui de la sécurité alimentaire.

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