Raconter la diversité culturelle et ethnique de la France est un défi de taille. Surtout lorsqu’elle se consacre aux communautés maghrébines, dont l’Algérienne qui représente une part symbolique conséquente.
Malgré une présence historique de l’immigration maghrébine en France, de son incorporation naturelle dans la société française, il est toujours aussi difficile de porter l’histoire de cette catégorie de personnes à l’écran français.
C’est le choc auquel s’est confrontée la comédienne d’origine algérienne Nawell Madani. La série, « Jusqu’ici tout va bien », qu’elle a réalisée, produite et dans laquelle elle joue, est arrivée comme un tsunami social au sein de la diaspora algérienne.
Malgré la caution Netflix, qui produit et diffuse la série, Nawell Madani a eu un accueil mitigé, voire très critique de la part du public maghrébin et surtout algérien.
Belge et Algérienne, Nawell Madani a bâti sa réputation sur sa double culture qu’elle a décortiquée sur scène avec humour en France, tout d’abord, mais aussi en Europe et au Maghreb. L’humoriste veut, depuis quelque temps, offrir une autre dimension à son travail en optant pour la comédie dramatique.
La série française la plus regardée sur Netflix
Cette nouvelle ambition a donné naissance à la première saison de « Jusqu’ici tout va bien », un drame social et familial qui mélange générations d’enfants d’immigrés, banlieue française, journalisme et trafic de drogue.
Nawell Madani joue le rôle de Fara, journaliste à la télévision qui est sur le point de réaliser son rêve, celui de présenter le JT. Mais la vie va la pousser à prendre des risques conséquents pour sa carrière et sa sécurité.
Fara et ses sœurs choisissent d’aider leur frère, impliqué dans un trafic de drogue et en délit de fuite. Ce dernier tente d’échapper à la police ainsi qu’à des trafiquants de stupéfiants. Ce choix va placer la famille, notamment Fara dans le viseur d’un baron de la drogue.
L’intrigue semble avoir passionné la France, qui a propulsé cette série diffusée depuis le 7 avril au rang de série la plus regardée du pays.
Elle a même conquis les téléspectateurs étrangers, puisqu’elle est devenue dès les premiers jours de diffusion la 7e série la plus regardée au monde sur la plateforme. Elle détrône ainsi la fameuse série Lupin avec Omar Sy.
Les chiffres de visionnage ne mentent pas, c’est un succès. La série pourrait même espérer une saison 2. Pourtant, quelques jours après son lancement, on découvrait Nawell Madani émue aux larmes sur le plateau de l’émission Clique TV.
Des larmes de tristesse pour la comédienne qui a dû faire face, en parallèle, à une campagne de haine sur les réseaux sociaux. Les critiques les plus dures sont venues de la part de la communauté maghrébine et musulmane de France.
Les internautes l’accusent de stigmatiser aussi bien les Maghrébins comme les musulmans de France en leur attribuant une énième intrigue autour de la criminalité. Mais aussi de ne pas avoir su parler en leur nom.
Justesse ou illusion chez Nawell Madani ?
La série de Nawell Madani se confronte à l’épineux sujet de la représentation maghrébine dans les médias de masse en France.
Alors que la télévision et le cinéma français peinent à produire des histoires qui mettent en scène des Français issus de l’immigration maghrébine, Netflix est devenue la seule issue pour ce type de contenus. La plateforme offre davantage de liberté aux réalisateurs qui veulent porter des projets qui parlent des minorités visibles.
C’est de cette liberté dont Nawell Madani a voulu profiter pour faire une série qui met en lumière les femmes maghrébines, notamment Algériennes qui vivent en France. En effet, elles n’occupent souvent que des seconds rôles dans des films ou des séries orientés vers des thèmes déjà très revisités.
Nawell Madani est allée cette fois sur un casting très varié et très féminin. On y voit des actrices de tout âge. Nawell Madani a pris le soin de représenter une famille complexe.
Pour une fois, on y découvre la difficulté d’être femme d’origine maghrébine et musulmane en France. Le dilemme de la double culture et l’injonction à effacer les traces de ses origines maghrébines quand on fait un métier public comme Fara.
Son physique lisse, la surveillance constante de son comportement en tant que journaliste sont presque des obligations pour le personnage incarné par Nawell Madani.
L’actrice et réalisatrice d’origine algérienne défend son projet jusqu’au bout. En pleine promotion de sa série, elle parcourt les plateaux télé pour expliquer qu’elle voulait rendre hommage aux femmes d’origine maghrébine.
Nawell Madani admet avoir pris des risques en racontant des tranches de vie, parfois de manière crue, parce que c’est aussi une réalité. Les dialogues, les ambiances, les situations sont plausibles, défend la comédienne algérienne.
Sur le plateau de l’émission de Mouloud Achour, Nawell Madani se défend : « J’ai mis une femme voilée, rayonnante, solaire, une fille invalide, les enfants de Yasmina qui sont en surpoids, des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’image. » Surtout quand on parle de la communauté maghrébine ou algérienne en France.
Pourtant, la série « Jusqu’ici tout va bien » ne convainc pas les Maghrébins de France qui sont las d’histoires de banlieue, de drogue ou d’islamisme. L’intrigue de fond dérange ce public que Nawell Madani avait sûrement espoir de toucher en priorité. L’actrice a surtout fait la différence sur ses personnages, mais pas sur le contexte de son scénario.
Parler de l’immigration à travers le crime : l’impair de Nawell Madani ?
Que reprochent les abonnés de la plateforme à la comédienne algéro-belge ? Les regards négatifs posés sur la première série de Nawell Madani sont variés. Il suffit d’éplucher les avis sur la plateforme Allociné pour comprendre. Le problème du cliché autour d’une famille maghrébine dont le sort est scellé par le poids des trafics est pointé du doigt.
Pour les internautes, il était possible d’évoquer la vie d’une famille maghrébine d’une autre manière que par le prisme de la drogue et de la violence. Ses détracteurs auraient aimé voir ses personnages évoluer dans des milieux « classiques ».
« Tout au long du film, on est confronté à une représentation exagérée et caricaturale de la vie quotidienne des Maghrébins en France, qui frise la moquerie », écrit un internaute sur Allociné.
Une autre internaute, sur Twitter, l’accuse même de jouer le jeu de l’extrême-droite française :
Les internautes algériens se sont également plaints du travail de la comédienne.
Autre critique, le choix des acteurs. Notamment celui de l’actrice et influenceuse Paola Locatelli, d’origine capverdienne et italienne, pour jouer le rôle de la petite sœur.
Chez les internautes algériens, cette orientation ne tient pas la route. Pourquoi ne pas avoir fait appel à une comédienne algérienne ou à minima maghrébine ?
Enfin, la version de l’Islam proposé par Nawell Madani pose également problème. L’intrigue se passe durant le Ramadan. Durant le mois de jeûne, Nawell Madani et ses sœurs doivent trouver une solution pour sauver leur frère en remboursant un baron de la drogue.
L’une des sœurs de Fara est une musulmane pieuse et voilée qui est présentée comme une mère célibataire indépendante. Elle s’implique intensément dans cette histoire de drogue qui pourrait coûter la vie de son frère.
Le choc des cultures a fait réagir la Toile
« Par pitié, respectez les musulmans un minimum ! Tjs fusionner dealeurs et musulmans + morale pathétique. Un navet gênant du début à la fin ! Madani s’est enterré avec cette ‘série’ », estime un autre internaute sur Allociné.
Pourtant, Nawell Madani rappelle ses bonnes intentions chez Clique TV. Elle explique même que d’autres musulmans l’ont soutenu dans ses choix cinématographiques.
Une femme voilée m’a pris dans ses bras en me disant : « Le fait que cette femme ait choisi sa foi, alors qu’on véhicule tellement l’idée que le voile est imposé aux femmes, qu’elle soit libre et qu’elle se batte pour sa fille… Tu m’as gagnée parce que je me suis reconnue », explique Nawell Madani à Mouloud Achour chez Clique TV.
Si Netflix offre une vitrine de choix pour les réalisations qui racontent tous les visages de la France, la plateforme mise avant tout sur des programmes percutants.
Les thèmes du crime, notamment de la drogue et du thriller, sont dominants. La série de Nawell Madani a tenté le pari ambitieux d’introduire des personnages maghrébins dans un scénario noir à influence très américaine. Les références aux cultures du Maghreb, dont l’Algérie, sont parfois forcées, empêchant la série de s’ancrer dans une forme de réalité.
Échec ou réussite, Nawell Madani a, à minima, pu porter des visages de la diversité à l’écran. Elle a surtout convaincu un public de regarder son travail et pourra peut-être même donner vie à une nouvelle saison de « Jusqu’ici tout va bien ».