Chaque fois qu’il est mis sous pression, le système de santé algérien étale au grand jour ses limites et ses contradictions. Plus que toutes les crises précédentes, celle de la pandémie de Covid-19 l’a longuement mis à l’épreuve et remet à plus tard les réformes envisagées.
Deux éminents professeurs ont récemment mis en lumière les inégalités criantes dans l’accès aux soins en Algérie. Le Professeur Farid Chaoui, gastro-entérologue et le Pr Kamel Bouzid, chef du service oncologie au CPMC d’Alger. Le premier a souligné comment la Covid-19 a accentué davantage ces inégalités et le second a évoqué l’accès aux soins à l’étranger.
« (..) je souhaiterais souligner dans cette contribution les conséquences désastreuses de la pandémie sur la bourse des ménages, du fait de l’aggravation des coûts de santé liés à la pandémie », écrit le Pr Chaoui dans une contribution publiée vendredi dans El Watan. Le spécialiste explique que « les moyens de l’État en matière de diagnostic et de traitement de la maladie se trouvant rapidement dépassés, les usagers ont été contraints massivement de s’adresser au secteur libéral ». Et la note est souvent salée. Le Pr Chaoui énumère les coûts de la PCR (15000 DA), du scanner (15000 DA) et les analyses (20000 DA).
« Si l’on comptabilise le coût de l’immobilisation en quantité de journées de travail perdues et celui des dépenses annexes (transport…), on arrive vite à des coûts largement insupportables par la grande majorité des classes moyennes a fortiori par la population la plus démunie ! Je rappelle que si les médicaments sont partiellement remboursés par l’assurance maladie, les analyses médicales, la PCR et le scanner sont exclusivement à la charge du malade ! », appuie-t-il.
Même si un ministère entier est dédié à la réforme, ce n’est pas en pleine crise sanitaire, qui impose d’autres urgences, que l’on peut chambouler de fond en comble le fonctionnement des structures hospitalières, du système de santé et celui de la prise en charge, donc de la sécurité sociale.
En attendant, les contradictions héritées d’une transition hésitante et mal engagée d’un système social et volontariste à un autre qu’on veut libéral, sont toujours là. La médecine gratuite pour tous est toujours actée dans les textes, mais elle n’est qu’illusion dans la réalité, de même que la médecine privée ressemble à une coquille vide, puisque n’offrant ses prestations qu’à une frange très réduite de la population.
L’Algérie dispose du meilleur système de santé en Afrique, a-t-on entendu dire. Ce n’est pas totalement faux, puisque le système est effectivement là, avec le maillage du territoire en infrastructures de santé, de petits dispensaires aux CHU, des facultés de formation de médecins et de personnel paramédical, une couverture sociale pour tous.
C’est quand on voit de près le fonctionnement de ce système et la portée réelle de ses dispositions sur la santé publique et l’accès aux soins que l’on se rend compte que ce n’est pas ce qui fait de mieux.
L’Algérie a par exemple fait un énorme pas en avant, que n’ont pas fait certains pays développés, en mettant en place le régime du tiers payant. L’accès au médicament est gratuit pour les malades chroniques. Il est quasiment symbolique pour le reste de la population.
En plus des consultations médicales également gratuites dans les hôpitaux publics, et même l’hospitalisation, cela peut signifier à première vue que l’Algérie est un pays où l’on peut se soigner sans se ruiner.
Mais la consultation et le médicament n’étant que des maillons dans la chaîne des soins, la gratuité devient illusion quand on sait que les radios, les scanners et les analyses, assurés presque entièrement par le privé, ne sont ni gratuits ni remboursés à leur juste prix.
Aussi, certains médicaments ne sont pas remboursables par la sécurité sociale, et quand ils le sont, il n’est pas rare de s’entendre dire qu’il faut se les procurer à l’étranger, car indisponibles en Algérie ou en rupture de stock.
Le privé pour une frange très restreinte
Tout cela vide de tout son sens le concept de gratuité de la médecine et met les Algériens devant des inégalités criantes dans l’accès aux soins. Cela est d’autant plus vrai que même les prises en charge à l’étranger sont gérées dans une certaine opacité et ne sont pas toujours décidées en fonction de l’état du malade, à en croire les spécialistes eux-mêmes.
Parmi eux, le professeur Kamel Bouzid. Le dernier coup de gueule de l’oncologue concernant ce point remonte à octobre dernier quand il a dénoncé les « résidus de la Issaba » qui continuent à transférer des malades pour des soins à l’étranger.
« Qui est parti à l’étranger ? Les résultats ? Combien on a payé ? (…) Ces chiffres, on vous les donnera jamais (…) Pourquoi X part à Marseille pour se soigner et Y reste ici et meurt ? Maintenant, la mode c’est la Turquie et la Tunisie qui soignent nos malades », s’est-il emporté lors d’une émission de la télévision nationale.
Face à la détérioration de leur système de santé, les Algériens qui ont les moyens ou le bras long préfèrent se soigner à l’étranger, même pour des maladies bénignes.
Pour ceux qui n’ont ni les moyens financiers ni les relations nécessaires pour décrocher une prise en charge sanitaire à l’étranger, ils comptent sur la solidarité de leurs compatriotes. On trouve souvent des appels sur les réseaux sociaux pour aider financièrement une personne malade à se soigner dans un hôpital en France, en Turquie ou en Tunisie, les trois principales destinations sanitaires des Algériens.
En Algérie, et incompréhensiblement, la caisse de sécurité sociale (Cnas) prend en charge les soins à l’étranger mais pas ceux prodigués par le privé national. Des cliniques ont été autorisées à ouvrir, mais en l’absence d’un système de sécurité sociale adapté, elles demeurent accessibles à une frange très restreinte de la population, celle qui peut régler au comptant les prestations. Une autre aberration du système de santé algérien.