La mobilisation ne faiblit pas. Les marches de ce huitième vendredi de contestation ont encore drainé des millions de manifestants à Alger et dans toutes les villes du pays.
La présence citoyenne est d’autant plus significative que, durant la semaine, on a assisté aux premières tentatives du pouvoir de dissuader les Algériens de marcher en usant de rumeurs, de menaces ou de répression.
Mardi, les étudiants ont été empêchés de marcher à Alger-centre par la police qui a utilisé le canon à son, une première en près de deux mois de marches et rassemblements. Le lendemain on a tenté de remettre ça avec les syndicalistes, pendant que des pages sans doute télécommandées sur les réseaux sociaux prêtaient aux forces de l’ordre l’intention d’empêcher les marches de vendredi par tous les moyens, y compris cette abjecte trouvaille assourdissante, le canon à son.
Répression et discours menaçant
Dès jeudi, la gendarmerie a entrepris la répression en amont comme pour faciliter la tâche de la police et ce, en tentant d’empêcher les manifestants venus des autres wilayas de rallier Alger. Sur l’autoroute Est-Ouest, sur celle de Tizi Ouzou et d’autres axes routiers, des barrages hermétiques ont été dressés, et les hommes en vert ont systématiquement immobilisé bus et autres véhicules transportant des manifestants. Le tout, sur fond d’une inflexibilité du pouvoir qui frise le mépris.
Le très décrié Abdelkader Bensalah a été intronisé mardi chef de l’État comme si de rien n’était et dès le lendemain, mercredi, le chef d’état-major de l’ANP s’est chargé de signifier au peuple que c’est à prendre ou à laisser. Ahmed Gaïd-Salah a expliqué aux Algériens qu’ils doivent pour l’instant se contenter du départ de Bouteflika et de « la bande », ainsi que des poursuites qu’il a promis d’engager à l’encontre de la coterie.
Plus inquiétant encore, le chef de l’armée a presque renoué avec son discours menaçant des premières semaines du mouvement, évoquant les dangers qu’encourent l’économie nationale et le pouvoir d’achat des citoyens si les manifestations ne s’estompent pas, la main de l’étranger, l’état d’exception…
Sur le plan politique, il est resté droit dans ses bottes en s’en tenant à la solution constitutionnelle et c’est sans surprise qu’il a avalisé la nomination de Bensalah à la tête de l’État pour 90 jours.
Un référendum
Cette huitième journée de mobilisation se présentait donc comme d’abord un référendum sur ce fait accompli imposé sur le pouvoir et la vision du commandement de l’ANP, puis comme un test pour la détermination des Algériens devant cette nouvelle donne que sont les menaces de répression.
Le verdict de la rue est sans appel pour l’une et l’autre des interrogations. Une vraie transition, gérée par des personnalités autres que celles héritées de Bouteflika et avec la garantie de déboucher sur un changement radical du système, est une exigence non négociable.
Pour les menaces, il semble aussi qu’elles n’ont pas fait d’effet. Il faudra bien plus pour dissuader les Algériens de continuer à marcher et à réclamer du changement. Le pouvoir lui-même a dû se rendre à l’évidence qu’il est face à un cercle vicieux : pour mettre fin aux manifestations il faudra user de la matraque, et pour réprimer il faut d’abord que le nombre de manifestants baisse sensiblement. C’est simple, aucune machine ne peut disperser ou empêcher une marche de millions de gens.
Les autorités ont prouvé que si elles hésitent encore à tenter la manière forte, c’est seulement à cause de l’ampleur des manifestations. Comme lors de la première marche du 22 février, la police a tenté de disperser les premiers manifestants qui ont investi l’esplanade de la grande poste dès la matinée de ce vendredi. Les matraques n’ont été remises dans leurs fourreaux que lorsque les marées humaines habituelles ont commencé à déferler sur les lieux en début d’après-midi.
Le principal enseignement à tirer de ce huitième vendredi est donc celui-là : les Algériens sont déterminés à sauver la transition et leur révolution et rien ne semble en mesure de les arrêter. Les manœuvres, comme les menaces, ayant montré leurs limites, le pouvoir n’a plus le choix. Il est peut-être temps d’admettre qu’une revendication comme la révocation des « trois B » n’a rien d’ « irréalisable »…