Les Algériens, qui manifestent depuis deux mois déterminés et convaincus quant à l’issue du mouvement de contestation, exigent clairement une transition politique qui rompt avec le système en place afin d’ouvrir de nouvelles perspectives au pays.
D’où l’insistance sur le départ dans l’immédiat, sans possibilité de retour, des symboles du « bouteflikisme ». Le « tetnahaw Gaâ » (vous partez tous) concerne surtout ceux qui de près ou de loin ont eu une responsabilité durant les vingt ans de Bouteflika.
Le message s’adresse aux hommes du pouvoir dont l’image est détériorée auprès de la population quel que soit le nom ou l’appartenance politique. Décriés, Abdelkader Bensalah, chef d’Etat par intérim, et Noureddine Bedoui, Premier ministre, gardent le silence, paraissent dans l’incapacité de convaincre les Algériens de « l’utilité » de leur maintien à leurs postes. Ils savent que toute bataille politique pour gagner les esprits et les cœurs des Algériens est perdue d’avance.
Comment continuer de gérer un pays alors que le peuple vous tourne le dos ? Bensalah répond par la convocation, sans préparation, d’une conférence de consultations politiques avec un agenda imprécis et des objectifs inconnus.
Reporter la présidentielle du 4 juillet 2019 ? Accélérer la démission du chef de l’Etat ? Changer le gouvernement ? Dans la rue, les Algériens, qui insistent sur le caractère pacifique et continu de leur mouvement, ne sont plus intéressés par la feuille de route du pouvoir.
Dans ce climat de défiance, la tenue de la présidentielle au début de l’été n’est plus à l’ordre du jour. C’est déjà un rendez-vous dépassé puisqu’il ne règle pas la crise politique et ne calme pas la colère populaire.
Comment lutter contre la corruption en période de transition ?
Dans les manifestations, les Algériens demandent à la justice d’agir contre ceux qui ont détourné l’argent public et ceux qui ont profité du « parapluie politique de Bouteflika » pour faire des affaires ou bénéficier indûment de gros crédits bancaires.
Le chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense, le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah demande, avec insistance, l’ouverture d’enquêtes sur les affaires de transferts de capitaux à la corruption.
Une corruption qui a pris une ampleur considérable ces vingt dernières années. Une partie de l’appareil judiciaire, qui a eu à traiter au niveau de l’instruction ces affaires sans aboutir à des procès, est toujours en place.
Des juges sont sortis manifester dans la rue, aux côtés d’avocats, pour réclamer leur indépendance et « l’ouverture » de dossiers de corruption et de détournement de deniers publics. Ils suggèrent donc que durant le règne de Bouteflika, cela n’était pas possible puisque l’impunité a été érigée en système de blocage et de « protection » avec un Conseil supérieur de magistrature ligoté.
Historiquement, la chute des régimes est toujours accompagnée par de fortes demandes de justice et de réparation. Ce qui est naturel. Ce samedi, l’ex-premier ministre Ahmed Ouyahia et l’actuel ministre des Finances Mohamed Loukal, ont été convoqués par le parquet de Sidi M’hamed dans le cadre d’une enquête sur la dilapidation de deniers publics, et l’octroi d’avantages illégaux.
La justice commence à s’attaquer aux gros poissons, mais juger des affaires de corruption dans une période de transition, chargée d’incertitudes, est un pari risqué. Cela peut aboutir à des procès expéditifs et à des règlements de comptes. Seul un pouvoir légitime, démocratiquement élu, pour mener, dans le respect des règles de transparence et de droit, une véritable lutte contre la corruption, et de veiller à restituer à la communauté nationale tout ce qui a été pris d’une manière illicite et de désigner les coupables sur base de preuves et après enquêtes répondant à toutes les normes de justice. Le temps de la justice, la vraie, est toujours plus lent que celui de la politique.