C’est le résultat inattendu d’un règne sans partage de Abdelaziz Bouteflika, voire même un résultat paradoxal quand on connait ses penchants à allumer le feu pour se présenter ensuite en pompier : les Algériens sont réconciliés entre eux.
Son obstination ou celle de ceux qui dirigent à sa place de se maintenir au pouvoir malgré les contraintes biologiques, éthiques et politiques a réussi à les unir contre celui qui menaçait de les abandonner à leur « médiocrité » s’ils ne lui accordaient pas une adhésion massive à ses idées. Personne n’a jamais cru à sa blague qui n’exprimait en réalité que le « mépris » qu’il a toujours eu pour un peuple qu’il le croit ne pas le mériter et s’autorise ainsi à le snober.
Bouteflika a donc préféré rester pour assouvir un désir de pouvoir qui l’a toujours habité. Il s’est fait élire quatre fois de suite mais les scores officiels ne diront pas s’il a eu l’ampleur voulue puisque les résultats proclamés ont toujours été contestés. Cette fois-ci, son désir de garder le pouvoir a fait l’objet d’un référendum spontané. Son résultat est manifeste et reconnu par le monde entier.
S’il a fallu une poignée de militants déterminés et exaltés pour lancer la lutte qui a conduit à arracher le pays à l’emprise de la colonisation, c’est tout le peuple qui s’est rallié au désir de se libérer de la poigne de fer du président grabataire. Peut-être mieux qu’au jour de l’indépendance, jamais des cortèges de manifestants n’ont rassemblé dans un même geste autant de citoyens de toutes catégories sociales et de toutes tendances politiques : femmes, hommes, jeunes, milliardaires, ouvriers et chômeurs défilent ensemble. Que les femmes soient en jean, en djellaba, robe traditionnelle ou hidjab, que les hommes soient en costume, uniforme de travail ou en jean aussi, ils se donnent tous la main.
Les images sont incomparablement plus belles que celles de la parenthèse enchantée du début des années 90 quand les Algériens manifestaient séparément, sous leur bannière politique. Ils se sont ensuite laissés prendre au piège d’une confrontation sanglante qui s’est terminée par un accord entre l’ANP et des groupes terroristes.
La couverture politique que le président Bouteflika a donnée à cet accord n’a jamais réussi à panser les blessures. Après une concorde civile qui a permis à des milliers de terroristes de déposer les armes moyennant une grâce amnistiante, il a poursuivi par une réconciliation nationale imposée à la société, sommée d’accepter sans discuter ses dispositions et d’accorder sans un mot son pardon. Résultat : les traumatismes n’ont pas été réparés et la violence n’a pas été extraite du corps social.
La réconciliation imposée par Bouteflika n’a pas permis de faire la vérité sur les violences. En défilant ensemble contre ce « président du déni » la société lui a signifié son désir de sortir panser elle-même ses blessures. L’union contre Bouteflika est en train de se révéler comme la meilleure thérapie contre le traumatisme des années 90.