Le professeur Brahim Guendouzi, enseignant d’économie à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, explique la raison qui a amené la Banque d’Algérie (BA) à abaisser, pour la 4e fois en moins d’une année, le taux de réserve obligatoire pour les banques primaires de 3 à 2 %, et ce, à compter du 15 février prochain. Cependant, l’économiste fait observer que cette mesure n’est que « conjoncturelle » et ne règle pas le problème de fond qui tient à la faiblesse de la bancarisation.
Le comité des opérations de politique monétaire de la Banque d’Algérie (BA) a décidé, une nouvelle fois, de réduire le taux de réserve obligatoire pour les banques primaires de 3 à 2 %, et ce, à compter du 15 février 2021. Que signifie cette mesure et quel est son objectif ?
Il s’agit de la 4e réduction depuis avril 2020, et l’explication est simple : la BA veut permettre aux banques de dégager de la liquidité afin que celles-ci puissent donner des crédits aux entreprises.
Les banques auront 1 % de plus à récupérer et donner des crédits aux entreprises notamment en cette période de pandémie. Beaucoup de sociétés en difficulté de trésorerie ont formulé des demandes de crédits et les banques pourront les satisfaire avec cette mesure.
Le deuxième aspect de cette mesure c’est qu’elle prouve qu’il y a un problème de liquidités dans les banques. Il me semble que les ménages préfèrent garder l’argent chez eux plutôt qu’à la banque.
Il y a par conséquent un facteur lié à la thésaurisation et lorsque la paie est versée, les ménages ont tendance à tout retirer. D’autre part, et à cause de la crise sanitaire (liée à la Covid), beaucoup d’entreprises n’ont pas eu d’activités, et les mouvements sur l’argent au niveau des comptes bancaires ont été gelés en l’absence d’activités économiques durant le 1er semestre 2020 et partiellement au second semestre.
Concrètement, comment s’opère ce mécanisme de réduction du taux de réserve obligatoire ?
Il existe un règlement de la Banque d’Algérie qui stipule que chaque banque, quand elle reçoit des dépôts de sa clientèle, est tenue de déposer un pourcentage défini par la BA sous formes de réserves.
Par exemple, si des clients déposent un milliard de dinars dans une banque, cette dernière est obligée de déposer 2 % de ce montant sous forme de réserves. Cela représente l’argent liquide que la Banque centrale détient chez elle sur la base des dépôts des clients des banques.
Lorsque la liquidité venait à manquer, le taux peut descendre jusqu’à 0 %, autrement dit la BA n’exige pas. À l’opposé, lorsque les banques disposent de beaucoup de liquidités, la Banque centrale fait augmenter le taux afin de soustraire de l’argent liquide des banques et le garder à son niveau.
Ce qu’on appelle le taux de réserve obligatoire. Lorsqu’il y avait eu le financement non conventionnel, la BA a fait augmenter ce taux à 12 % : pour éviter l’inflation, la Banque d’Algérie a obligé les banques à déposer chez elles 12 % de leurs dépôts bancaires.
Cela revient à dire que si la BA relâche le taux de réserves obligatoire, elle le fait dans le but d’encourager la liquidité et donner aux banques la possibilité d’accorder plus de crédits à leur clientèle.
« Les ménages sont en train de thésauriser, ils retirent leur argent pour le garder à la maison »
De telles mesures sont-elles suffisantes pour relancer l’économie et régler le problème du manque de liquidités ?
Cette mesure reste conjoncturelle. Elle ne règle pas le problème de fond des liquidités tel qu’il se pose actuellement. Le problème de fond qu’il y a tient à la faiblesse de la bancarisation, puisque les dépôts en banques ont diminué et les banques ne font pas beaucoup d’efforts pour attirer les épargnants.
Aussi, le nombre d’agences bancaires demeure insuffisant par rapport à la population. Enfin, les ménages sont en train de thésauriser, ils retirent leur argent pour le garder à la maison, d’où le problème de manque de liquidités.
Ajoutez à cela la faiblesse des exportations, en l’occurrence lorsque celles-ci diminuent la conversion de la devise vers la monnaie nationale diminue aussi, entraînant une baisse de la liquidité bancaire.
Ces jours-ci, il y a des chances qu’il y ait une amélioration du niveau de liquidités au niveau des banques du fait que le pétrole brut est à 60 dollars/baril, le chiffre d’affaires mensuel de la Sonatrach augmente et cela peut faire augmenter la liquidité bancaire dans les mois à venir, cela si le prix du pétrole se maintient à 60 dollars ou plus.
Jusqu’où la BA peut-elle aller dans la réduction du taux de réserve obligatoire ?
La marge de manœuvre est étroite. Il me semble que la BA va rester au seuil des 2 % et s’orienter vers le Taux d’intérêt directeur. C’est le taux que la Banque centrale applique lorsqu’elle prête de la liquidité aux banques. Ce taux sera fixé périodiquement et rendu public.
Les banques peuvent solliciter des liquidités auprès de la BA en contrepartie de titres : soit par des bons de Trésor ou des crédits qu’elles ont déjà octroyés et qu’elles peuvent rétrocéder à la Banque centrale et celle-ci donne des liquidités. Je pense que grâce à ce mécanisme il n’y aura plus de problème de liquidités dans les semaines à venir.
Le taux directeur qui est actuellement de 3 % peut être réduit de 0,25 point et les banques peuvent solliciter énormément de financements auprès de la Banque centrale.
Le scénario d’un défaut de liquidités est donc exclu ? Les banques peuvent-elles se trouver sans liquidités ?
Je pense qu’on est en train de l’éviter actuellement. La conjoncture évolue quelque peu grâce à la reprise graduelle de l’activité économique dans le sillage de l’accalmie de l’épidémie de Covid.
Des flux financiers sont en train de circuler. Le Taux directeur et les facilités qu’elle va donner aux banques permettront à celles-ci d’améliorer leurs liquidités en se refinançant autrement auprès de la BA. Le niveau de liquidités dans les banques peut s’améliorer dans les semaines à venir.
« Il faut que le gouvernement mette de l’ordre dans le système bancaire et fiscal »
Les réductions successives du taux des réserves obligatoires n’ont pas donné de résultats. La dévaluation du dinar est-elle envisageable aussi ?
En réduisant ce taux, on ne fait que gagner du temps. On a diminué jusqu’à 2% mais au-delà je ne pense pas qu’on ira vers 0 %. On ira plutôt vers l’abaissement du taux directeur de sorte que les banques vont solliciter les financements chez la Banque d’Algérie.
Quant aux processus de dévaluation du dinar, il a été déjà entamé. Les pouvoirs publics ont utilisé le levier de la Banque centrale qui a diminué jusqu’au minimum le taux des réserves obligatoires, et incessamment elle va jouer sur le taux directeur.
Cependant, la Banque centrale à elle seule ne peut pas régler tous les problèmes financiers de l’Algérie. Il faut que le gouvernement mette de l’ordre dans le système bancaire et fiscal et par des incitations à l’investissement. Ce n’est que de cette façon que l’économie va reprendre. En s’appuyant sur la BA, on ne fait que gagner du temps.
Comment voyez-vous la réforme du système bancaire ? Quels sont les aspects qui posent problème et qu’il faut revoir en urgence ?
Le système bancaire est dominé par six banques publiques : 85 % des actifs bancaires sont détenus par ces six banques. Ces dernières interviennent à 60 % dans le financement des entreprises publiques dont la majorité se trouve en difficultés financières. Les banques publiques n’attirent pas beaucoup d’épargnants (problème de bancarisation).
Deuxièmement, les crédits sont destinés en grande partie aux entreprises publiques soumises à des difficultés financières. De fait, les banques publiques n’arrivent pas à récupérer un certain nombre de créances et c’est le Trésor qui les prend en charge selon des périodes précises.
Les banques publiques telles qu’elles sont actuellement posent problème : il faut donc réformer le système des banques publiques soit par une ouverture de capital soit par la création de nouvelles banques, il faut aller dans ce sens.
L’autre aspect de la réforme est lié aux taux d’intérêts actuellement très insuffisants pour attirer les épargnants avec seulement 2 %. Les épargnants qui sont intéressés de déposer leur argent en banque moyennant un taux d’intérêt de 2 % le jugent peu rémunérateur.
En clair, la Banque d’Algérie doit revoir la rémunération des dépôts bancaires. Il y a un autre aspect relatif à la modernisation du management des banques. Si le paiement électronique était généralisé, les ménages seraient obligés d’avoir des comptes bancaires, mais comme le gros des transactions se fait en cash on n’est pas tenu d’ouvrir un compte bancaire.
Aussi, il n’y a pas d’utilisation de chèques. Il y a un dernier aspect : une grande partie de l’argent en circulation au sein des ménages ne se fait pas dans le réseau bancaire, mais dans le circuit informel.
Les banques telles qu’elles existent sont dans l’incapacité de récupérer l’argent de l’informel dans le réseau bancaire. La BA à elle seule ne peut pas le faire : elle règle les problèmes des banques en termes de liquidités. Mais le gouvernement doit s’attacher à la modernisation de la place bancaire.
Enfin, il y a un élément important mais dont on ne parle pas : l’absence d’un marché financier. Les grandes entreprises comme Sonelgaz, Algérie Télécom, Sonatrach, Air Algérie, pourquoi sollicitent-elles des crédits bancaires alors qu’elles peuvent se faire financer sur le marché financier (la Bourse d’Alger), comme ça elles vont soulager les banques qui vont financer les PME.