Des forces non constitutionnelles ont usurpé le pouvoir et géré le pays à la place du président Bouteflika. Ce n’est pas Ali Benflis ou un autre opposant au régime qui le soutient, mais le RND d’Ahmed Ouyahia qui, il y a à peine un peu plus d’une semaine, était l’un des plus fervents défenseurs du cinquième mandat et du maintien de l’ordre établi.
« Il y a des forces qui sont gênées par les partis. Il s’agit de forces non structurées. Des forces non constitutionnelles, non organisées, etc. Elles sont partout. L’Algérie a été dirigée par ces forces durant au moins ces cinq, six ou sept dernières années », dénonce Seddik Chihab, porte-parole du parti et bras droit d’Ouyahia. Avant lui, c’est Ouyahia en personne qui y est allé de son avis de la crise actuelle, estimant qu’il « faut répondre dans les plus brefs délais aux revendications des manifestants ».
Retournement de veste ou dénonciation sincère, maintenant que la parole est libérée, d’une situation que le parti a dû cautionner à contrecœur ? Sur les réseaux sociaux, les internautes, ceux-là mêmes qui battent le pavé chaque vendredi, ont déjà répondu : le parti cherche à se repositionner en prévision de l’après-Bouteflika, c’est dans son ADN de s’adapter à toutes les situations.
Il y a sans doute du vrai dans le jugement. Le RND et tous les autres soutiens du pouvoir, partis ou organisations, nous ont habitués à ce genre de reniement, à dénigrer sans scrupules ceux qu’ils ont défendus avec acharnement.
À propos d’acharnement, Ahmed Ouyahia est de ceux qui ont montré un zèle sans pareil à servir le président Bouteflika. Au lendemain de l’annonce de la candidature du président sortant, il a mis en garde ceux qui seraient tentés de contester ce choix en rappelant que l’État sait « maîtriser la rue », assurant que le peuple algérien était « heureux de la candidature de Bouteflika ».
Même après la grande marche du 22 février, il n’a pas mis de l’eau dans son vin. Le 28 du même mois, il a brandi devant les députés de l’APN le spectre du chaos syrien. À ce jour, il reste le seul haut responsable à avoir menacé les manifestants.
Logiquement, son nom a figuré juste derrière celui des Bouteflika dans la liste des têtes que la rue a souhaité voir tomber et c’est encore sans surprise que le pouvoir l’a sacrifié dans une tentative de calmer les manifestants.
Le 11 mars, Ahmed Ouyahia est débarqué de son poste de Premier ministre et remplacé au pied levé par le duo Bedoui-Lamamra. Cherche-t-il à se venger de cet affront ? Sans doute pas.
Ouyahia et son parti ont appris à faire le dos rond devant les humiliations quand elles émanent du pouvoir. Le personnage a été débarqué plus d’une fois du gouvernement et même de son poste de SG du RND et il a ravalé sa fierté à chaque fois qu’il est rappelé suivant la mécanique du pouvoir que seuls les initiés comprennent.
Même lorsque les chefs successifs du FLN, Amar Saâdani et Djamel Ould Abbas notamment, et même son ministre de la Justice Tayeb Louh, l’avaient traîné publiquement dans la boue, il n’avait pas osé sortir des rangs.
Difficile donc de croire qu’Ouyahia a décidé de jouer les opposants maintenant qu’il sait que sa carrière politique est pratiquement finie. Il faudrait chercher ailleurs les raisons de cette véhémente montée au créneau. Déjà, elle peut être perçue comme le signe d’un déchirement irréversible entre les différentes factions du pouvoir. En parlant de forces non constitutionnelles, l’allusion à la famille du président et à son cercle proche ne fait pas de doute. La charge du bras droit d’Ouyahia n’est peut-être que le début d’une ultime guerre intestine.
Dans ce repositionnement, il n’est pas inopportun aussi de voir l’expression d’une décision tranchée chez une partie influente en haut lieu concernant la solution à apporter à la crise actuelle. Le sort du président sortant est peut-être définitivement scellé. Les prochains jours nous éclaireront davantage sur ce qui se trame dans les arcanes du pouvoir, mais en attendant, savourons le grand déballage qui s’annonce croustillant.