La gestion de l’après-Bouteflika est en train de prendre une tournure inquiétante. Hier soir, l’homme d’affaires Issad Rebrab, un justiciable comme les autres, a été placé en détention provisoire tard dans la nuit.
La justice n’a pas communiqué sur cette arrestation spectaculaire de l’homme d’affaires le plus célèbre du pays. Mais selon les médias publics, Issad Rebrab est poursuivi pour les chefs d’accusation de « fausse déclaration relative aux transferts illicites de capitaux et vers l’étranger, surfacturation d’équipements importés et importation de matériels d’occasion alors qu’il avait bénéficié d’avantages douaniers, fiscaux et bancaires ».
On ignore les sommes en jeu. Mais si l’affaire concerne les machines Evcon, elles sont dérisoires au regard de la taille du groupe : à peine quelques millions d’euros, selon les accusations des douanes qui ont porté plainte contre Cevital l’année dernière. L’affaire a déjà été jugée une première fois et le groupe privé a eu gain de cause. Les douanes ont contesté le jugement et fait appel.
Pourquoi la justice a-t-elle décidé d’accélérer le dossier de manière aussi spectaculaire ? Il y a manifestement une volonté de frapper les esprits et de faire peur dans un contexte de révolte populaire.
Selon nos sources, de nombreux opérateurs économiques, dont des industriels, ont reçu des convocations de la part des enquêteurs de la gendarmerie. Plusieurs services de sécurité mènent également des enquêtes. Dans certains cas, ces enquêtes sont menées en dehors de tout contrôle de la justice, et dans l’opacité totale.
Les risques d’une dérive sont réels. Les enquêtes sur les civils doivent rester du ressort exclusif de la justice et des services de sécurité habilités à les effectuer. Elles doivent se dérouler dans le strict respect de la procédure, loin de toute pression politique des nouveaux maîtres du pouvoir ou de la population.
Cette attaque contre les opérateurs économiques n’est pas opportune dans un contexte actuel de grave crise. Elle aura pour conséquence rapide de fragiliser l’économie déjà malmenée par la baisse des prix du pétrole et la gestion chaotique de l’économie par les différents gouvernements. Aujourd’hui, la décision économique est bloquée. Les managers ne prennent plus de décisions, les banques n’accordent plus de crédits aux entreprises et les employés sont inquiets.
Rien ne justifie une telle précipitation des appareils de sécurité et de justice. Les dossiers de corruption sont connus et leurs acteurs aussi. En Algérie, tout le monde sait qui a volé l’argent du peuple et tout le monde peut constater que ces voleurs ne sont pas inquiétés.
Derrière ces affaires se cachent visiblement un début de dérive des nouveaux maîtres du pouvoir. Une dérive qui risque de s’étendre à d’autres acteurs. Hier, en annonçant les arrestations de Rebrab et des frères Kouninef, le compte Twitter de la Radio nationale évoquait aussi celle de Karim Tabbou. Le tweet a été supprimé rapidement, mais le doute sur les intentions des nouveaux maîtres du pouvoir subsiste.
| LIRE AUSSI :
La justice algérienne ne doit pas être utilisée à des fins populistes
Lutte contre la corruption, un historique « manque » de sérieux