Le projet de loi de finances 2021 qui a été voté par les députés à la fin de la semaine dernière n’avait pas la tâche facile et devait affronter deux grands défis que l’Algérie doit relever.
Le premier est celui de la récession dans laquelle s’est trouvé plongée l’économie nationale au cours des derniers mois du fait de la pandémie liée au Covid-19. Le second est le résultat d’une crise financière qui dure depuis 2015 et qui s’est encore accentuée en 2020.
Si on en juge par les analyses produites par de nombreux experts nationaux, le projet de loi de finances 2021 ne semble avoir apporté de réponses convaincantes ni à l’un ni à l’autre de ces défis.
Une réponse insuffisante à la crise du Covid-19
Comme de nombreux pays du monde, l’Algérie est entrée officiellement en récession depuis le mois de juin dernier. On s’attend, suivant les sources, à une chute de l’activité économique sans précédent dans notre pays qui variera de 4 à 8 % du PIB en 2020.
Le diagnostic est très généralement partagé. Au-delà de son impact immédiat sur le secteur de la santé, la pandémie de coronavirus a plongé dans la crise des pans entiers de l’économie nationale.
Des secteurs d’activité comme les transports, particulièrement aérien, le BTP, l’hôtellerie, la restauration mais également les hydrocarbures sont frappés de plein fouet.
On commence seulement à avoir des données chiffrées sur l’ampleur de la crise. Parmi les plus touchés, le secteur du BTP aurait perdu des centaines de milliers d’emplois selon les organisations professionnelles du secteur.
Tout récemment, c’est le président de l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), Hadj Tahar Boulenouar, qui indiquait que plus de 50 000 commerçants et artisans ont arrêté leurs activités depuis le début de la pandémie, soulignant que « les commerçants ont recouru à cette option en raison des pertes matérielles qu’ils ont subies du fait de la fermeture des magasins et de la grande réticence des citoyens à acquérir certains biens ».
Les premières réponses des autorités algériennes ont été relativement tardives. Certaines mesures ont été annoncées à la fin du printemps dernier. Elles concernent principalement le report des échéances sur le plan fiscal et parafiscal, ainsi que les charges financières des entreprises. Une indemnité a également été prévue pour les petits commerçants en difficulté.
Insuffisant, estiment en chœur la plupart des observateurs. « Il faudrait penser carrément à un plan de relance économique spécial Covid-19 tant les dégâts collatéraux de la pandémie sur la société et sur l’économie nationale sont considérables », commente l’enseignant chercheur Brahim Guendouzi .
Ce scepticisme à l’égard de la réponse gouvernementale aux conséquences de la crise du Covid-19 s’est étendu jusqu’à la Commission de Finances de l’APN dont les membres, cités par une dépêche de l’agence officielle, ont souligné que « la nouvelle loi ne prévoit pas d’affectation de ressources financières pour la prise en charge des entreprises qui ont enregistré une baisse accrue de leurs activités allant jusqu’à la fermeture de certaines filiales ».
Dans ce cadre, un membre de la commission a affirmé que les entreprises économiques « souffrent en silence et nombre d’entre elles risquent la faillite », ajoutant qu’ « on ne peut parler de relance de l’économie en tant qu’objectif stratégique pour l’an prochain, en l’absence d’aides financières urgentes au profit des entreprises affectées par la crise ».
Dans la même veine, un membre de la commission s’est interrogé sur l’utilité des mesures incitatives fiscales et douanières contenues dans le PLF 2021 au profit des start-up « si l’ensemble du tissu économique souffre et nécessite une aide ».
La dérive des dépenses de fonctionnement de l’État
La loi de finances 2021 devait affronter un autre défi tout aussi important. Il s’agit de celui de l’élimination progressive des énormes déficits budgétaires qui se sont accumulés depuis 2015.
On se souvient qu’au printemps dernier, dans le sillage de l’effondrement des cours pétroliers qui avait frôlé la barre des 20 dollars, le président Abdelmadjid Tebboune avait, à l’occasion de plusieurs conseils des ministres convoqués de façon exceptionnelle, instruit le gouvernement de « réduire de 50 % les dépenses de fonctionnement de l’État ».
La loi de finances complémentaire 2020 votée en juin dernier s’était inscrite timidement dans cette direction en ramenant les dépenses de fonctionnement de 4800 à 4700 milliards de dinars. Ce qui avait été présenté par le ministère des Finances dans un commentaire officiel comme un « premier pas » dans la direction tracée par le président de la République.
On s’attendait donc à une poursuite de cette orientation dans le cadre de la Loi de finances 2021. C’est exactement le contraire qui se produit avec des dépenses de fonctionnement qui reprennent leur course en avant en augmentant de près de 12 % ; ce qui les fera passer de 4700 milliards de dinars en 2020 à plus de 5300 milliards de dinars l’année prochaine.
De nombreux commentateurs nationaux de la presse indépendante ont relevé à juste titre que seules les dépenses de fonctionnement vont dépasser désormais, et pour la première fois dans l’histoire de notre pays, l’ensemble des recettes de l’État, fiscalité pétrolière comprise.
La plupart des observateurs n’ont pas manqué de mentionner non plus l’écart considérable entre des dépenses totales de l’État, qui devraient dépasser au cours de l’année prochaine 8100 milliards de dinars, et des recettes de seulement un peu plus de 5300 milliards.
Dans ce domaine, il est également frappant de constater que les informations livrées par le ministère des Finances ne prévoient pas de réduction sensible de l’écart entre les recettes et les dépenses au cours des trois prochaines années.
Il devrait continuer à se situer très officiellement à un niveau proche de 3000 milliards de dinars chaque année avec des dépenses totales qui avoisineront 8600 milliards des dinars dès 2022 et des dépenses de fonctionnement qui continueront d’augmenter pour atteindre 5500 milliards de dinars.
Les prévisions du projet de loi de finances 2021 semblent ainsi conforter le constat alarmant d’un profond déséquilibre, voire de ce qui s’apparente à une véritable dérive des finances publiques nationales.
Comment financer le déficit budgétaire ?
Une nouvelle fois, c’est la commission des finances de l’APN elle-même, toujours citée par l’APS, qui s’inquiète en insistant sur « l’impérative maitrise des dépenses budgétaires durant les prochaines années, s’interrogeant sur la méthode de financement du déficit prévu qui se creusera à un taux élevé d’ici fin 2020 ».
Comment ces déficits d’un niveau insoutenable seront-t-ils financés au cours des prochaines années ? Le ministère des Finances ne le dit pas.
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Dans un communiqué publié le 18 novembre, un parti politique comme le FFS relève la persistance de « la reproduction quasi totale de la même structure des dépenses de fonctionnement et d’équipement, malgré les voyants rouges des comptes publics, notamment le déficit du Trésor et de la balance des paiements, ce qui nous renseigne sur le niveau d’immobilisme qui marque l’Exécutif et son incapacité à construire un modèle économique et social viable et équitable affranchi des hydrocarbures ».
Un point de vue que l’économiste Nour Meddahi n’est pas loin de partager en invitant récemment les autorités algériennes à choisir entre « continuer le statu quo comme les prédécesseurs et livrer le pays au FMI » ou bien « mener le redressement économique ; à commencer par la consolidation des déficits interne et externe, et les réformes économiques, en particulier celles qui seront impopulaires ».