Alors que le maréchal Abdel Fattah al-Sissi effectue, depuis lundi 23 octobre, une visite officielle de trois jours en France, plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme ont appelé le président français Emmanuel Macron à mettre un terme à la « scandaleuse politique de tolérance » envers « le gouvernement répressif » du président égyptien.
« Macron devrait mettre fin à une ère de mansuétude vis-à-vis du Caire », écrit ainsi Human Rights Watch (HRW) dans un communiqué. L’organisation estime : « Al-Sissi a présidé à la pire crise des droits humains qu’ait connue l’Égypte depuis des décennies ».
Un nouveau mandat présidentiel
« Les autorités, poursuit HRW, ont arrêté ou inculpé au moins 60.000 personnes, fait disparaître de force des centaines d’autres pendant des mois, prononcé des centaines de condamnations à mort et renvoyé plus de 15.000 civils devant les tribunaux militaires. La cible principale de cette répression a été les Frères musulmans, le plus grand mouvement d’opposition du pays, mais presque aucun groupe pacifique n’y a échappé ».
Dans un rapport publié en août 2014, l’organisation de défense des droits de l’Homme tirait déjà la sonnette d’alarme sur le massacre de manifestants opposés au renversement du président Mohamed Morsi à l’été 2013. HRW évoquait alors de possibles « crimes contre l’Humanité ».
Interrogé sur cette question « des violations systématiques et de grande ampleur des droits de l’homme » au cours d’un entretien accordé au journal Le Figaro paru ce mardi, le président égyptien se défend. En préambule, il indique que « les droits de l’Homme sont universels et leur respect est essentiel, car il permet aussi de mieux lutter contre le terrorisme ».
Puis il explique l’équation difficile de la sécurisation de son pays. « L’Égypte souhaite atteindre l’équilibre nécessaire entre les droits et les devoirs des citoyens d’une part, et les défis sécuritaires de la lutte contre le terrorisme d’autre part ». « C’est une équation parfois difficile lorsque votre responsabilité est de sécuriser cent millions de citoyens », ajoute Abdel Fattah al-Sissi, qui s’apprête à se porter candidat pour un nouveau mandat.
À la question des « abus constatés contre des jeunes qui n’étaient en rien des Frères musulmans », Abdel Fattah al-Sissi indique au journal français : « Lorsque des abus sont constatés, la justice a la charge et le devoir de poursuivre et de condamner les auteurs. Cela a été fait et continuera à se faire ».
« L’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes »
Par ailleurs, Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), a rappelé, mardi, au micro de Franceinfo, que l’Égypte constituait « l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes ». Il demande à Emmanuel Macron qu’ « il fasse valoir auprès du président al-Sissi que la manière dont il opprime les journalistes de son pays, restreint la liberté de la presse, est inadmissible ».
Si l’Élysée a indiqué la semaine dernière que la situation des droits de l’Homme, “à laquelle la France est particulièrement attentive”, serait évoquée lors de la venue du président égyptien en France, cette question ne devrait ni chambouler le programme, ni tendre des relations bilatérales au beau fixe.
Emmanuel Macron et son homologue égyptien -qui se rencontrent pour la première fois- doivent notamment s’entretenir au cours d’un déjeuner de travail ce mardi à midi pour évoquer leurs intérêts stratégiques communs : alliance en termes de coopération contre le terrorisme islamiste, résolution de la crise libyenne, Syrie et conflit israélo-palestinien. Dans un tel contexte régional, la France tient absolument à privilégier la stabilité de son partenaire égyptien et, plus globalement, fait de la stabilité au Moyen-Orient une de ses priorités diplomatiques.
En outre, la France, sixième investisseur en Égypte en 2016, discutera du renforcement des échanges économiques entre Paris et le Caire. Selon un rapport du ministère de la Défense publié en juillet 2017, l’Égypte est le quatrième client de la France sur la décennie 2007-2016 en matière d’équipements militaires.
Autant dire que la question des droits de l’Homme et des libertés en Égypte ou celle des Frères musulmans (les détracteurs de Sissi sont bien implantés en France, ce qui irrite Le Caire…) devraient être abordées uniquement en privé…