Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, explique les enjeux de la crise au Mali, l’impact sur l’Algérie, et pointe la « similitude » entre les éléments du discours des putschistes maliens et ceux du Maroc à l’ONU.
Dans un entretien accordé au quotidien El Khabar publié ce lundi 5 février, et dans la continuité de sa tribune publiée sur TSA le 30 janvier, le diplomate et ancien ministre Abdelaziz Rahabi décortique, non seulement cette crise, mais la situation globale qui prévaut au Sahel.
Il y voit les contours d’un nouvel ordre régional voulu par des puissances externes à la région.
Abdelaziz Rahabi se dit d’emblée surpris par l’attitude et la rhétorique des autorités maliennes qui ne correspondent ni à la réalité ni à l’histoire des relations entre le Mali et l’Algérie que les nouvelles autorités maliennes ne semblent pas prendre en compte.
« L’Algérie n’est pas responsable de ce qui se passe au Mali. Au contraire, elle est le seul pays qui a tenté de rapprocher les parties maliennes », dit-il, rappelant que l’accord d’Alger en 2015 a été l’aboutissement de la demande de médiation émise en 2014 par le président malien Ibrahim Boubacar Keïta à son homologue Abdelaziz Bouteflika.
Cet accord, salué par toutes les organisations internationales, « ne peut pas, du jour au lendemain, devenir la cause des problèmes du Mali », estime Rahabi pour qui ce qui se passe est plutôt lié à la nature du nouveau pouvoir au Mali.
« À mon avis, les nouvelles autorités du Mali sont entrées dans le processus d’établissement d’un nouvel ordre dans la région, qui dépasse leurs capacités et leur discours politique actuel », analyse le diplomate algérien.
Abdelaziz Rahabi dit constater les contours d’un nouvel ordre régional voulu par des grandes puissances présentes au Mali à travers la « sous-traitance ».
L’objectif étant de substituer un autre système à celui mis en place après l’indépendance de l’Algérie, qui repose sur le soutien de tous les pays vivant sous le colonialisme, l’autonomie de la prise de décision et le contrôle par les pays de leurs matières premières.
Abdelaziz Rahabi : le Maroc, Israël et les Émirats activent aussi au Sahel
De l’avis de M. Rahabi, le nouvel ordre voulu crée une pression sur les frontières Sud de l’Algérie, sachant que « le point faible de la région du Sahel, ce sont ses frontières non sécurisées ».
Il incombe de ce fait à l’Algérie de protéger ses frontières et celles de ses voisins qui souffrent du phénomène du terrorisme international et du déséquilibre causé par l’injection de grosses sommes d’argent sous couvert des organisations non gouvernementales ou par le paiement de rançons dépassant les 200 millions de dollars à des groupes terroristes par des pays européens.
Pour lui, l’histoire de l’accord d’Alger est un prétexte pour les autorités maliennes afin de rejoindre le nouvel ordre régional.
En plus de la Russie à travers les milices Wagner et des États-Unis qui y ont des bases militaires, d’autres pays jouent au Sahel, comme Israël, les Émirats arabes unis et le Maroc, pointe l’ancien ambassadeur d’Algérie à Madrid.
« Le Sahel est devenu un terrain de conflits d’intérêts, et nous ne pouvons pas l’isoler de ce qui se passe en Ukraine et en Palestine. Nous vivons dans une guerre d’influence qui ne se limite pas à l’Ukraine », analyse Abdelaziz Rahabi.
Interrogé sur la virulence du ton utilisé par la junte malienne à l’égard de l’Algérie, Rahabi a répondu que les autorités de Bamako « n’ont pas les capacités politiques, diplomatiques ou militaires pour avoir ce ton avec l’Algérie » et que si un pays adopte un tel langage, « cela signifie qu’il s’appuie sur des puissances non régionales, ou qu’il est entré dans une stratégie de puissances non régionales ».
« On ne peut pas imaginer que les pays du Sahel puissent chercher un accès vers l’océan Atlantique. Ce n’est ni une logique géographique ni économique, mais plutôt un message diplomatique clair que ce sont là les contours du nouvel ordre régional qu’ils veulent installer dans la région du Sahel, devenue un terrain d’expérimentation », tranche Rahabi.
Abdelaziz Rahabi voit dans ce projet l’objectif de réduire l’influence de l’Algérie, de mettre l’armée algérienne sous pression constante et de l’engager dans une guerre d’usure, ainsi que de créer des problèmes pour l’économie algérienne, avec des retombées sociales.
Enfin, il ne manque pas de souligner la « similitude » entre les éléments du discours des nouvelles autorités maliennes et ceux du discours du représentant du Maroc à New York, qui a proposé en 2021 d’organiser un référendum en Kabylie. « L’escalade dans le ton est très similaire à la méthode marocaine, et c’est un ton hostile et inacceptable », conclut Abdelazi Rahabi.
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