L’armée américaine a accusé la Russie d’avoir déployé secrètement au moins quatorze avions de chasse en Libye la semaine dernière en soutien des mercenaires russes combattant aux côtés du maréchal Haftar, l’homme fort de l’est de Libye, dans sa tentative de conquête de l’ouest du pays, rapporte le journal américain le New York Times.
Ces avions de combat auraient été repeints dans une base militaire en Syrie, dans le but de camoufler leur origine russe, a déclaré le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom) dans un communiqué accompagné de quinze photos, y compris des images satellites, qui montraient les avions dans les airs et dans une base aérienne en Libye.
« Pendant trop longtemps, la Russie a nié toute l’ampleur de son implication dans le conflit libyen en cours », a déclaré le général Stephen Townsend, commandant du Commandement des États-Unis pour l’Afrique, cité par la même source, estimant que « ça ne sert à rien de nier maintenant ».
Haftar en difficulté
La commission de défense de la Douma, le parlement russe, ont rejeté les accusations des Etats-Unis, affirmant qu’elles étaient fausses. « La position de la Russie est connue », a indiqué Andrei Krasow, vice-président de la commission parlementaire, ajoutant que son pays avait pour objectif de « mettre fin au bain de sang en Libye » et appelant toutes les parties impliquées dans le conflit à « s’abstenir d’utiliser des armes et s’asseoir à la table des négociations ».
Le déploiement d’avions de chasse semble confirmer le rôle grandissant de la Russie dans la guerre libyenne, où son allié Haftar a subi la semaine dernière une série de pertes importantes qui ont porté un coup dur à sa campagne militaire, indique le journal américain.
Jusqu’à présent, la Russie s’est impliquée en Libye par le biais du groupe Wagner, une entreprise militaire privée soutenue par le Kremlin dont les mercenaires ont offert un grand boost à l’assaut du maréchal Haftar sur Tripoli l’automne dernier à un moment où ses propres forces vacillaient.
Drones turcs
Les choses ont cependant changé la semaine dernière lorsque la Turquie, qui intervient en Libye depuis janvier dernier en soutien au Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’Onu, a fait reculer l’avancée des forces du maréchal Haftar grâce à une succession de victoires militaires. Les drones turcs ont notamment pilonné les lignes d’approvisionnement des forces de l’Armée nationale libyenne (ANL), permettant aux forces du GNA de capturer une base aérienne stratégique à l’ouest de Tripoli.
Puissance aérienne russe
En parallèle, des images diffusées sur les réseaux libyens ont montré durant le week-end des mercenaires russes qui seraient employés par le groupe Wagner se retirant des lignes de front au sud de Tripoli. Après avoir passé la nuit dans la ville de Bani Walid, ils auraient été aéroportés vers la base aérienne d’Al Djoufrah, au cœur de la zone est-libyenne contrôlée par Haftar, et où seraient également stationnés les avions de chasse russes arrivés en renfort.
Des analystes cités par le New York Times estiment que l’arrivée de ces avions pourrait avoir de profondes implications dans la guerre que se mènent les forces du GNA et celles de l’ANL. « Non seulement la puissance aérienne russe pourrait modifier l’équilibre militaire en Libye elle-même, mais cela pourrait être la première étape d’une escalade progressive vers ce qui deviendra finalement un déploiement militaire russe permanent dans le pays », a avancé Michael Kofman, directeur du programme Russie au Center for Naval Analysis.
Un diplomate occidental travaillant sur la Libye a quant à lui estimé que le déploiement semblait être un stratagème de la Russie pour forcer la Turquie à ralentir son assaut contre le maréchal Haftar. La menace de représailles pourrait ainsi aider à assurer le retrait sûr des combattants russes pendant que les forces de Haftar se regroupent, a-t-il avancé.
« La suspension des frappes de drones turcs durant le retrait des mercenaires russes (…) suggère qu’il existe une entente russo-turque », a expliqué pour sa part Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, cité par Le Point.
« La Turquie et la Russie tentent de se tailler des sphères d’influence en Libye », a estimé Lacher. « Mais il reste à voir comment d’autres puissances étrangères réagiront : les Etats-Unis, les Emirats arabes unis, l’Egypte et la France », qui ont soutenu ou soutiennent le maréchal, a précisé l’expert. « Ils pourraient essayer de torpiller un arrangement russo-turc en Libye, car il les marginaliserait et accorderait à la Russie et à la Turquie une influence à long terme » en Libye, a-t-il anticipé.