Société

Les études de médecine sont-elles toujours intéressantes en Algérie ?

À quelques jours de la publication des résultats du Bac 2024 en Algérie, la question du choix de la spécialité se pose pour les futurs bacheliers. Parmi les spécialités les plus convoités par les nouveaux bacheliers figure la médecine.

Dans cet entretien à TSA, le Dr Lyes Merabet énumère les avantages des études de médecine, mais aussi les difficultés des praticiens de santé en Algérie.

Il répond à la question de savoir si les études de médecine sont toujours intéressantes vue les problèmes auxquels sont confrontés les médecins algériens comme les salaires bas, le refus d’authentification de leurs diplômes, une mesure prise en 2023 pour endiguer l’exode des médecins algériens.

Pour les nouveaux bacheliers algériens, est-ce que c’est toujours intéressant de faire médecine ?

Avoir son bac,  notamment avec de bonnes moyennes est certainement le sésame qui ouvre l’accès à des études supérieures de qualité et c’est le début aussi à une projection personnelle professionnelle et sociale.

De tout temps, les études médicales ont constitué pour notre société le fer de lance pour nos bacheliers et leurs familles dans toute carrière universitaire et une orientation privilégiée pour garantir un avenir aux enfants et une certaine classe sociale à la famille.

C’était notre cas par exemple dans les années 1980-1990. C’était un choix pratiquement délibéré et un avantage de pouvoir exercer dans le secteur public. Depuis, la situation a beaucoup changé et plusieurs facteurs en sont la cause.

À commencer par le nombre important de médecins algériens formés depuis l’indépendance et leur mauvaise répartition à travers les établissements de santé publique d’une région à une autre.

On s’est retrouvé vers la fin des années 2000 jusqu’à 2015 à recruter des médecins généralistes, des chirurgiens-dentistes dans le cadre du dispositif précaire du pré-emploi !

Aujourd’hui,  persistent encore des difficultés pour le recrutement des médecins du fait du déséquilibre entre le nombre de médecins formés chaque année, les effectifs de médecins qui quittent le secteur public (retraite,  démission, … ) et les besoins exprimés par les établissements de santé dans le cadre des postes budgétaires à pourvoir (absence de normalisation et de respect d’un numerus clausus).

À mon humble avis, ce choix reste intéressant pour les bacheliers à condition que :

1- les conditions de formation et d’encadrement s’améliorent pour être à la hauteur du doctorat en sciences médicales…

2- que les conditions sociales et professionnelles évoluent rapidement pour permettre au médecin de reconquérir son statut social à travers une revalorisation conséquente des salaires dans le secteur public et un profil de carrière professionnelle intéressant.

Le médecin algérien est-il bien payé ?

C’est ce que nous espérons pour nos jeunes collègues médecin à travers la promulgation des nouveaux statuts et des régimes indemnitaire en attente de publication depuis le 07 mai 2024.

L’autre point important à mon point de vue si nous voulons préserver un encadrement médical de qualité dans les établissements publics, c’est la mise en place d’une fonction publique sectorielle, propre au secteur de la santé et qui prend en charge les spécificités et la diversité des fonctionnaires dans ce secteur.

Dans les conditions actuelles,  nous assistons avec un sentiment d’impuissance à l’expansion de deux phénomènes dans le secteur public ;

1- L’orientation des étudiants en médecine vers les spécialités, considérant le fait que les salaires sont relativement plus intéressants d’une part et que cela garantie plus d’opportunités pour exercer dans le secteur privé (à mi-temps dans le cadre de l’activité complémentaire ou lucrative ou à plein temps en cas de démission voir après la retraite) ….

2- Un manque récurent, de plus en plus ressenti en généralistes (médecins, médecins dentistes et pharmaciens), ce qui dégarnit la structure publique de santé en personnel médical qualifié et impact négativement la qualité de la prise en charge des malades.

Bien que la loi de santé de 2018 met clairement en relief la place et l’intérêt du médecin généraliste dans le système de santé à travers la création du concept de médecin référent (médecin de famille pour moi) pour être au diapason des réformes des systèmes de santé engagées dans  la plupart des pays depuis des décennies, malheureusement, nous constatons toujours une lenteur et des blocages systémiques dans la mise en place de cette nouvelle organisation de l’offre de soins dans notre pays.

La revalorisation de la médecine générale et sa promotion en spécialité à l’instar des autres spécialités avec l’obligation de la contractualisation de toutes les activités de soins (secteur public et privé) est une des conditions nécessaires pour ramener à sa juste valeur sociale le métier de médecin dans notre pays.

Pourquoi les médecins algériens quittent l’Algérie pour l’étranger ?

Toutes ces raisons que je viens de citer, ramenées à d’autres considérations sociales, économiques et culturelles peuvent expliquer l’engouement de plus en plus marqué de nos médecins à vouloir quitter le pays pour aller s’installer ailleurs où les conditions matérielles, le cadre de vie et les opportunités de progression scientifique et professionnelle sont meilleurs

De nombreux médecins algériens se plaignent du refus des autorités d’authentifier leurs diplômes…

Le refus d’authentification des diplômes pour les médecins n’est pas une disposition réglementaire légale.

En plus, cette décision n’a pas eu vraiment un impact significatif sur le phénomène de l’émigration des médecins algériens vers l’étranger sachant que la quasi majorité de nos médecins sont intéressés par la France comme destination et que les autorités dans ce pays n’exigent plus ce document pour les médecins algériens.

Pour toutes ces raisons, le Syndicat national des praticiens de la santé publique a déjà saisi les plus hautes autorités de notre pays pour que soit ouvert un atelier de réflexion traitant du phénomène dans son ensemble et proposer des solutions qui soignent le primum movens de cette situation complexe au lieu de saupoudrer ses conséquences sur tout le système.

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