On a une fâcheuse tendance en Algérie à considérer nos émigrés comme des personnes riches du seul fait d’être payés en euro. On multiplie chaque euro gagné au taux de change parallèle. Un Smicard gagnerait ainsi l’équivalent de 250 000 dinars. Ce qui serait clairement un salaire confortable si le concerné vivait en Algérie. Mais c’est en France qu’il est établi, là où la baguette coûte l’équivalent de 200 dinars et non un dinar.
Il faut donc cesser de considérer les émigrés comme des gens riches, coupables de ne pas transférer suffisamment d’argent au pays, pire d’alimenter le marché parallèle. Avec sa violence et ses images chocs, le mouvement des « gilets jaunes » a révélé une française qu’il était difficile de soupçonner et qui est de nature à relativiser certaines des difficultés connues au sud de la Méditerranée où la solidarité familiale opère déjà comme un baume.
Des millions de pauvres
Il n’y a qu’à examiner les dernières statistiques pour se comprendre que ces émigrés, en majorité de catégories populaires, ne vivent pas dans un Eldorado fantasmé depuis cette rive.
Selon les derniers chiffres de l’Institut national des statistiques et des études économiques (Insee), quelque 8,8 millions de personnes vivaient en situation de pauvreté monétaire en 2017.
Dans son dernier rapport publié le mois dernier, l’Observatoire des inégalités s’est inquiété de pauvres toujours plus jeunes ou élevant seuls leurs enfants. Entre 2006 et 2016, le nombre de personnes pauvres vivant sous un seuil établi à 50% du revenu médian (855 euros par mois pour une personne seule) est passé de 4,4 à 5 millions, a détaillé cet organisme.
Cette évolution est principalement due à des facteurs démographiques, en particulier la progression du nombre de familles monoparentales aux faibles revenus, à la croissance qui demeure faible et à un niveau de chômage élevé, est-il expliqué dans le rapport.
Ce travail indépendant, premier du genre, qui compile et analyse les données officielles disponibles sur la pauvreté, veut dresser un « état des lieux » et « donner des visages aux personnes concernées ».
Ainsi, 25% des pauvres vivent dans une famille monoparentale, 67% ont au plus un CAP, la même proportion vit dans les grandes villes ou en périphérie, et 65% ont moins de 20 ans.
« Les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, souvent en difficulté d’insertion sur le marché du travail sont les premiers concernés », selon l’Observatoire.
Les enfants touchés
En 2015, 1,7 million d’enfants vivaient dans un ménage en difficulté, dont certains « à la rue, dans des hôtels peu confortables, ou des logements de fortune », écrivent les auteurs, se basant sur le chiffre Insee de 30 000 enfants vivant avec un parent sans domicile et recourant aux services d’hébergement d’urgence.
Les familles monoparentales, majoritairement des femmes, ont également été « fortement impactées » par la pauvreté ces dernières années. Elles représentent près « d’un quart de la population pauvre ».
Pour Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, le plan pauvreté présenté mi-septembre par Emmanuel Macron fait « peu pour aider ces familles » et, de plus, « fait semblant d’agir à la racine en voulant donner la priorité aux enfants ». « Il faut agir pour les enfants, mais la racine de la pauvreté, c’est la précarité de leurs parents, les bas salaires, le chômage », a-t-il taclé.
Passé 50 ans, les seniors peuvent rencontrer des problèmes d’emploi, ne touchant ni salaire, ni pension de retraite, une situation qui conduit un tiers d’entre eux à vivre sous le seuil de pauvreté, plus majoritairement des femmes, selon une étude de la Drees publiée mercredi.
« En 2015, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans n’ont perçu ni revenu d’activité ni pension de retraite, que celle-ci soit de droit direct ou de réversion, soit 11% des personnes de cette tranche d’âge », indique dans cette étude le service statistique des ministères sociaux.
« Ne croyez pas que je suis au paradis ! »
Pour les autres, 50% avaient perçu en 2015 une retraite (accompagnée ou non de revenus d’activité) et 39% uniquement des revenus d’activité. « Après 50 ans, de nombreuses personnes rencontrent des difficultés importantes sur le marché du travail et ces situations dites hors de l’emploi et de la retraite, autour de 60 ans, constituent des poches de pauvreté », poursuit la Drees.
Sur les 11% des seniors n’ayant ni emploi ni retraite, dits « NER », un sur trois (32,1%) vivait en dessous du seuil de pauvreté, contre 6,0% des seniors retraités et 7,4% des seniors en emploi. Ces NER sont en majorité des femmes (66%), se déclarent en moins bonne santé et sont moins diplômés que les autres seniors, souligne la Drees.
Leur niveau de vie médian s’élevait en 2015 à 1 270 euros par mois, un montant bien inférieur à celui des seniors en emploi (2 090 euros) ou des retraités (1 860 euros), mais supérieur à celui des personnes sans emploi âgées de 25 à 52 ans (1 050 euros mensuels).
Avant la redistribution des prestations sociales, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté est estimé à 45,6%, soit près d’une sur deux, dont 59,9% de personnes en situation de handicap. Trois ménages sur quatre de seniors NER bénéficient de prestations sociales non-contributives (aides au logement et minima sociaux tels que le RSA ou l’Allocation adulte handicapé, notamment), des aides qui représentent 44% de leur revenu disponible, contre 2% pour l’ensemble des ménages de seniors.
Côté revenus, le salaire médian est de 2 250 euros et de 1 700 pour les ouvriers. À partir de 3 200 euros pour une personne seule, on est dans la catégorie des 10% les plus riches.
À titre de comparaison, le salaire moyen dans l’enseignement est de 2 475 euros, soit un peu plus de deux fois le SMIC. Un instituteur en moyenne 2 093 euros (1 650 euro début de carrière), un agrégé 3 400 et un professeur des chaires supérieures 5 700.
Dans la police, un commissaire est à 4 500 euros, un commandant à 3 500 et un gardien de la paix à 1 900.
Un cadre dans le secteur de la communication fait ses comptes : « je suis à près de 4 000 euros sur mon bulletin de salaire. On me prélève 1 000 euros par mois d’impôts et j’ai un loyer de 1 200 euros. En y ajoutant, la taxe et l’assurance habitation, les frais de téléphone, d’électricité et d’eau, je suis à plus de 3 000 euros. Alors, ne croyez pas que je suis au paradis », résume t-il.