La France était en état d’alerte maximale vendredi à la veille de nouvelles manifestations de “gilets jaunes” qui font craindre une répétition des émeutes à Paris, un scénario que le gouvernement veut à tout prix éviter, mobilisant massivement son appareil sécuritaire.
“Force restera à la loi”, a prévenu dans la matinée le ministre français de l’Intérieur Christophe Castaner en présentant le dispositif “de grande envergure” qui sera déployé à cette occasion. Seront notamment utilisés dans la capitale des véhicules blindés de gendarmerie capables de détruire les barricades qui pourraient y être érigées comme le 1er décembre et dont les images ont fait le tour du monde.
L’exécutif martèle qu’il est en état d’alerte maximale. Il en appelle au sentiment républicain parmi les Français, ne cachant pas une grande inquiétude face à un éventuel risque de situation insurrectionnelle.
“Ces trois dernières semaines ont fait naître un monstre qui a échappé à ses géniteurs”, a déclaré Christophe Castaner pour qualifier la révolte des “gilets jaunes” – ces Français issus des classes moyennes et populaires dénonçant la politique fiscale et sociale du gouvernement – devenue le creuset de toutes les contestations françaises, comme celle des lycéens.
Le recul du gouvernement sur la taxation du carburant, boutefeu de la colère, n’a pas permis d’apaiser un mouvement déstructuré, évoluant hors des cadres établis, et sans leader.
Un certain nombre de gilets jaunes, mais aussi de personnalités, ont appelé à ne pas manifester à Paris pour éviter des violences qui, jusqu’ici, n’ont pas entraîné directement la mort de manifestants, casseurs ou membres des forces de l’ordre.
L’appareil d’Etat, qui ne parvient pas depuis trois semaines à apaiser politiquement cette colère populaire, déploie son arsenal sécuritaire, judiciaire, administratif pour assurer l’ordre public.
– “Sans précédent” –
Au total, 89.000 policiers et gendarmes seront déployés dans toute la France samedi pour éviter de revivre les scènes de la semaine précédente: affrontements sous l’Arc de Triomphe, barricades enflammées dans les beaux quartiers, pillages, nuages de gaz lacrymogène pour tenter de disperser des “gilets jaunes” et des casseurs incontrôlables.
Un dispositif “sans précédent”, a commenté le directeur général de la gendarmerie nationale, Richard Lizurey, alors que “tout laisse à penser que des éléments radicaux vont tenter de se mobiliser”, selon M. Castaner.
Sur les réseaux sociaux, le principal vecteur d’organisation des gilets jaunes, certains mots d’ordre évoquent clairement un changement de régime ou un départ du président français Emmanuel Macron, toujours mutique, qui doit théoriquement s’exprimer en début de semaine prochaine sur cette grave crise.
Très impopulaire, conscient qu’il cristallise le ressentiment d’une part importante des Français, le chef de l’Etat, élu en 2017 en se présentant comme l’homme du changement, du renouveau, mais régulièrement accusé par ses détracteurs d’être le “président des riches”, “ne souhaite pas mettre d’huile sur le feu”, selon le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. D’autant que le mouvement des gilets jaunes est lui très largement populaire, d’après les mêmes sondages.
Tour Eiffel, musée du Louvre, d’Orsay, Pompidou, Grands magasins fermés, rideau baissé sur la scène de l’Opéra ou à la Comédie française, nombreux matchs de football reportés… A Paris, comme en province, la France se claquemure et retient son souffle.
Circuler dans la capitale, une des villes les plus visitées au monde, sera sans doute une gageure en raison des nombreuses restrictions de circulation automobile, des dizaines de stations de métro fermées, de lignes de bus déviées, de stations de vélo en libre-service désactivées.
“Faites profil bas et évitez les rassemblements”, a recommandé jeudi soir l’ambassade des Etats-Unis aux Américains présents à Paris. Le gouvernement belge a quant à lui incité les voyageurs à “reporter leur séjour dans la capitale” française.
“Les informations et images que nous recevons de Paris sont terrifiantes. Ca n’a pas l’air d’être le bon moment de venir pour les fêtes”, a commenté au téléphone un couple de sexagénaires de Grand Rapids, dans le Michigan, en annulant son séjour auprès d’un particulier qui loue un hébergement, a raconté ce dernier à l’AFP.
– Arrestations préventives –
Du côté des autorités, le procureur de la capitale Rémy Heitz a annoncé avoir pris des mesures pour permettre aux policiers d’interpeller des personnes souhaitant “en découdre avec les forces de l’ordre” en amont des manifestations.
Dans certaines zones, les autorités interdisent de manifester, comme dans le nord de la France. Ou bien, elles prohibent la vente et le transport de carburants, d’engins pyrotechniques et de produits inflammables ou chimiques, pour limiter le recours aux engins incendiaires.
Les hôpitaux parisiens ont aussi renforcé leurs équipes en prévision du weekend.
Parmi les autres contestataires qui tentent de s’agglomérer à la révolte, certains lycéens continuaient vendredi de manifester, bloquant des établissements scolaires et provoquant eux aussi des violences urbaines, en particulier en région parisienne.
Quelques milliers d’entre eux ont défilé vendredi à Paris, leur premier cortège dans la capitale depuis la reprise de leur mobilisation en début de semaine dans la foulée des “gilets jaunes”.
A Mulhouse, dans l’est, un policier a été grièvement blessé au cours d’une manifestation par un lycéen encagoulé à moto qui l’a percuté, selon les autorités.
Illustration du désarroi face à ce mouvement : les partenaires sociaux, complètement hors-jeu, se divisent sur les solutions à apporter.
Le Premier ministre Edouard Philippe va recevoir vendredi soir une délégation de six gilets jaunes membres d’un collectif ayant appelé à renoncer à manifester samedi à Paris.