La dégradation, depuis plusieurs années, de la situation économique de notre pays et de ses principaux indicateurs financiers, semble s’accompagner, dans la période actuelle, d’une méfiance croissante vis-à-vis des institutions en charge du pilotage de la politique économique.
L’image de cercles dirigeants occupés à vider les caisses de l’État et à épuiser nos dernières marges de manœuvre financières est aujourd’hui largement répandue dans l’opinion nationale. Elle contribue à renforcer le sentiment de défiance vis-à-vis de décideurs politiques et économiques soupçonnés, dans le meilleur des cas, d’être en panne de solutions et, dans le pire des scénarios, de chercher cyniquement à gagner du temps pour piller les richesses.
Cette représentation n’est d’ailleurs plus seulement présente au sein du grand public. Elle tend également à gagner du terrain parmi les milieux, plus avertis, des experts et des spécialistes de l’économie algérienne.
Soupçons de fuite de capitaux
C’est un universitaire algérien très actif dans le débat public au cours des dernières années comme Nour Meddahi qui ouvre le feu dans une contribution sur TSA.
Il cible particulièrement une Banque d’Algérie « complice du vertige de la planche à billets et qui est à nouveau aux ordres du politique ». Pour le professeur de la Toulouse School of Economics, « la politique budgétaire de l’exécutif et la politique monétaire de la Banque d’Algérie mènent de manière certaine le pays vers l’effondrement sur le plan économique et le recours au FMI ».
Nour Meddahi croit également déceler dans l’emballement du mécanisme de la planche à billets au cours des derniers mois les signes que « le niveau de prédation a augmenté » et que « la forte augmentation de la liquidité bancaire semble aussi profiter au patronat connecté au politique pour le financement de ses activités, souvent prédatrices ».
Dans le même registre, mais cette fois à propos de la balance des paiements, M. Meddahi relève que « le déficit de la partie service est historiquement au plus haut, ce qui suggère aussi une fuite de capitaux ».
Dans une contribution publiée également par TSA, c’est un autre expert algérien, Nacer Bourenane, qui estime carrément que dans la situation actuelle « la première mesure à prendre est de rétablir l’indépendance de la Banque centrale et de procéder au remplacement de sa direction actuelle ».
Pour Nacer Bourenane, « il est urgent que le pouvoir actuel dans ce qu’il exerce comme contrôle économique et financier cède la place à une équipe chargée de préparer la transition à la mise en œuvre d’une véritable stratégie de développement national durable ».
L’expert algérien affirme assumer pleinement un « dégagisme » qui selon lui « s’impose tout autant dans la gestion des affaires économiques et financières du pays, qu’au plan politique. Il est tout aussi pressant. Il est déterminant pour l’avenir du pays ».
Une responsabilité pleinement engagée
Même si on peut encore juger à l’heure actuelle que les craintes exprimées à propos d’une accélération de la fuite des capitaux ne sont pas complètement étayées et qu’un dégagisme expéditif n’est sans doute pas la solution la plus appropriée à nos difficultés économiques, l’interpellation dans le contexte présent d’institutions comme la Banque d’Algérie ou le ministère des Finances est certainement légitime.
À propos de sujets comme la planche à billets ou la gestion des réserves de change qui ont déjà suscité de nombreuses inquiétudes au cours des derniers mois et qui risquent de devenir encore plus épineux dans un contexte marqué par de fortes incertitudes politiques, leur responsabilité est complètement engagée.
Pour ce qui concerne la planche à billets, la Banque d’Algérie est très certainement l’interlocuteur idoine. La loi sur le financement non conventionnel, votée il y a près de 18 mois, a confié en effet à la banque centrale un rôle essentiel aussi bien dans la mise en œuvre que dans le contrôle de ce dispositif d’exception mis en place pour une durée de 5 ans
Planche à billets : À quoi a servi l’argent ?
À la décharge de la Banque d’Algérie, on peut relever que sa démarche a été marquée au moins jusqu’à la fin de l’année dernière par une volonté de transparence qui a permis de suivre quasiment « en temps réel » l’évolution des montants financiers mis à la disposition du Trésor public ainsi que leur destination.
Un bémol cependant : depuis la fin décembre dernier plus aucune intervention de la Banque centrale sur ce sujet. Les dernières informations disponibles et les dernières « analyses » ont été livrées par Ahmed Ouyahia quelques jours avant sa démission alors que cette fonction incombe théoriquement à la Banque d’Algérie. Elles confirment l’emballement du processus de financement monétaire de l’économie et la sous-estimation des risques inflationnistes par l’ancien Premier ministre.
La seule information récente en provenance de la Banque d’Algérie date d’hier. Elle annonce, avec plus d’un mois de retard, le relèvement à 12% du taux des réserves obligatoires des banques. Une mesure effective depuis le 15 février dernier et qui fait partie de la panoplie classique utilisée par la Banque centrale dans le but d’atténuer les tensions inflationnistes nées du renflouement de leur liquidité par la planche à billet.
Quel avenir pour la planche à billets ?
Encore plus que sur le bilan de ses 18 premiers mois d’application, l’opinion nationale est certainement en droit d’interpeller les responsables économiques nationaux sur l’avenir de la planche à billets. Dans ce domaine, la Banque d’Algérie a été précédée voici quelques mois par le Directeur Général du Trésor.
Devant la Commission des finances et du budget de l’APN, Fayçal Tadinit, avait évoqué en octobre dernier l’éventualité de renoncer au recours du financement non conventionnel, à partir de 2019, « ou d’y recourir dans une moindre mesure par rapport à 2018 ».
On connait la suite. Depuis ces annonces, sans aucun doute, très prématurées, du DG du Trésor, la planche à billets a continué à fonctionner à plein régime et près de 2600 milliards de dinars se sont ajoutés aux 4000 milliards déjà « imprimés ».
Depuis l’adoption de la loi sur le financement non conventionnel, c’est l’équivalent d’environ 55 milliards de dollars soit 32 % du PIB qui ont été mis à la disposition du gouvernement par la Banque d’Algérie dans le but de combler des déficits publics qui s’accumulent de toutes parts sans que rien ne soit fait pour tenter de les résorber.
Où sont passées les réformes économiques ?
Un autre volet du dispositif de la planche à billets sur lequel on ne dispose que de très peu d’informations est en effet celui des actions de réformes qui doivent en principe accompagner ce mécanisme de financement exceptionnel.
« La Banque d’Algérie est chargée d’assurer le suivi et l’évaluation de l’exécution des mesures et actions prévues par un programme portant plusieurs réformes », précise la loi votée en octobre 2017.
Le mécanisme de « suivi et d’évaluation des mesures et réformes structurelles dans le cadre de la mise en œuvre du financement non conventionnel » a été fixé par décret exécutif. Il est censé faire l’objet d’un bilan régulier. Après 18 mois d’application de la planche à billets, on attend toujours le premier rapport sur ce sujet.
L’érosion des réserves de change
Au cours de la période actuelle, la Banque d’Algérie est également en première ligne sur un thème qui risque de devenir d’une actualité brulante : l’érosion des réserves nationales de change se poursuit. Elle est en passe de devenir le principal sujet de préoccupation non seulement du grand public mais aussi, comme on l’a vu, de beaucoup d’experts qui n’hésitent plus à évoquer un risque de « fuite des capitaux » dans un contexte d’instabilité politique.
Dans ce domaine, qui est de sa responsabilité directe, l’institution dirigée par Mohamed Loukal n’a pas vraiment brillé au cours des derniers mois par sa réactivité ni par son souci d’éclairer l’opinion nationale. Les derniers chiffres disponibles, qui indiquaient que nos réserves financières extérieures sont passées sous la barre des 80 milliards de dollars à fin 2018, ont été, eux aussi, livrés par Ahmed Ouyahia peu avant sa démission.
On attend toujours la confirmation de ces données par la Banque d’Algérie ainsi que plus largement le rapport de l’institution sur la situation de la balance des paiements à fin 2018.
Dans un contexte politique exceptionnel, les institutions chargées du pilotage de l’économie nationale donnent l’impression d’être décidées à faire le dos rond et à continuer d’assurer une sorte de service minimum en matière d’information de l’opinion nationale sur notre situation économique et financière. Un choix qui pourrait se révéler assez périlleux pour leur crédibilité.
Le maintien d’un flux d’information régulier, voire l’augmentation de sa fréquence et de sa périodicité, dans le cas de certains sujets sensibles comme la situation de la balance des paiements ou celles des réserves de change, constitueraient très certainement une option plus judicieuse.