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« Les juges, jusque-là inféodés au pouvoir politique, sont entrain de briser leurs chaînes »

« Les juges, jusque-là inféodés au pouvoir politique, sont entrain de briser leurs chaînes »

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ENTRETIEN. Nous avons déjà vu par le passé des avocats engagés dans la défense des droits de l’homme et des libertés mais un engagement de leur part avec une ampleur que nous voyons aujourd’hui est inédit. Comment expliquez-vous cet engagement ? Quels sont les objectifs des avocats protestataires ?

M. Noureddine Benissad, avocat et président de la LADDH – Les avocats sont par définition des défenseurs des libertés nous le faisons au quotidien. Ils sont les voix des sans voix et les porte-voix des voix qui n’arrivent pas à s’exprimer. Nos aînés dans la profession étaient déjà engagés pendant le mouvement national et la guerre de libération. Ils ont défendu, corps et âme et au péril de leurs vies, les militants de la cause nationale pour que l’Algérie retrouve son indépendance et sa liberté. On a puisé dans ce patrimoine et ces traditions de lutte.

Les avocats, partie prenante du peuple, se rangent évidemment de sa cause parce qu’elle est juste. Face à la hogra, face à un système qui opprime son propre peuple, qui pousse ses enfants à la harga et face à l’injustice, nous avons rejoints ce mouvement populaire pour une Algérie libre, une deuxième République, respectueuse des libertés collectives et individuelles.

Les magistrats ont, pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, manifesté publiquement leur rejet du système et réclamé une véritable indépendance de la justice. Quel est votre point de vue sur ces actions des juges ?

Les juges, longtemps opprimés, veulent s’exprimer. La justice, et à son corps défendant, a été privatisée par le pouvoir politique et le pouvoir de l’argent. Sans avènement de l’État de droit, il ne peut y avoir ni démocratie, ni liberté ni développement. C’est l’État de droit qui va permettre aux juges de travailler en toute indépendance sans pression et sans interférences, d’apporter la sécurité juridique dont le système autoritaire nous privés jusqu’à aujourd’hui.

Les juges, jusque-là inféodés au pouvoir politique, sont entrain de briser leurs chaînes pour rendre une justice impartiale. Il faut saluer ce vent de liberté qui souffle dans notre pays et ce courage de se réapproprier la parole.

Quel rôle pensez-vous que la justice, défense et magistrats, devrait avoir dans le déroulement du mouvement de protestation populaire ?

Les avocats sont en train de s’organiser à travers leurs ordres professionnels et à travers aussi des collectifs. Nous avons mis en place une cellule de veille pour suivre les événements, réagir en temps réel et des permanences pour défendre toutes les personnes interpellées lors des manifestations. Le Conseil de l’ordre d’Alger est en séance ouverte pour prendre toutes les mesures qui s’imposent.

Les avocats, c’est aussi une force de proposition et nous alimentons le mouvement populaire par des propositions et idées aussi bien sur le plan juridique que politique. Nous contribuons par des éclairages sur la constitution, les différentes expériences dans le monde sur les transitions démocratiques déroulant le passage pacifique de la dictature vers la démocratie et surtout de propositions pour une sortie de crise pacifique et apaisée.

Il s’agit d’envisager avec les magistrats des actions communes et de parler d’une seule voix pour apporter notre soutien inconditionnel au mouvement de protestation populaire et d’en être aussi des acteurs car nos objectifs sont les mêmes : État de droit, indépendance de la justice, respect et protection des libertés collectives et individuelles des citoyens.

Quelle trajectoire devrait prendre le mouvement de contestation ?

Les tenants du pouvoir jouent sur l’accalmie et l’essoufflement de la protesta populaire. La mobilisation populaire doit impérativement préserver à la fois la dimension pacifique et la mobilisation. Les décideurs et leurs relais essayent de gagner du temps par la manœuvre et la ruse, faute de projet de société. Il y a même des tentations de recourir à la force et à la répression. Ils se trompent énormément, le peuple est conscient et il est passé à une vitesse supérieure car désormais, il exige le démantèlement du système totalitaire. Il dit désormais: le changement, c’est maintenant !

Quel est le rôle que devront jouer les avocats et les magistrats dans la phase de transition qui s’annonce ?

Les avocats, en tant que société civile, ont un rôle important à jouer en œuvrant à une transition qui ne sera pas celle proposée ou imposée par le système autoritaire.

Le système, discrédité, décrié et rejeté par le peuple est totalement disqualifié pour mener tout seul la transition sinon le peuple aura perdu la bataille.

La transition vers un système démocratique ne peut être menée que par les leaders de ce mouvement de protestation notamment les jeunes, la société civile, l’opposition effective et toutes les forces de ce pays qui ont à cœur l’avenir de leurs pays.

Si le changement ne se fait pas maintenant, c’est reparti pour au moins cinquante ans avec le même système totalitaire juste repeint d’une nouvelle couleur, juste un peu de casting.

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