Les Algériens se sont exprimés hier dimanche 1er novembre sur le projet de révision constitutionnelle. Le taux de participation était de 23,7 % et la nouvelle constitution a été adoptée avec 66,8 % des suffrages exprimés. Quelle évaluation faites-vous des résultats du scrutin ?
Soufiane Djillali : Le scrutin d’hier appelle, pour moi, à quelques remarques, qu’on peut considérer comme des leçons à tirer du vote. La première c’est que pour la première fois, en tout cas cela s’est passé tellement rarement, nous avons affaire à des chiffres vrais. C’est-à-dire qu’il y a une réalité suivant laquelle on a laissé s’exprimer les chiffres, essentiellement par le taux de participation. C’est important parce que ça donne pour une fois le crédit à l’opération elle-même. Deuxième leçon : c’est que, à l’évidence, le taux de participation est très faible. En réalité, il est aussi faible comme il l’a été durant les scrutins précédents. Sauf qu’auparavant, il y avait toujours la fraude et le bourrage (des urnes) qui faisaient que les taux de participation étaient bien supérieurs aux chiffres réels. Pour une fois, nous avons le taux réel.
Vous dites que les chiffres annoncés sont vrais. Qu’est-ce qui a changé par rapport aux pratiques passées ?
C’est le résultat de l’action du Hirak. Lorsque les Algériens sont sortis en masse le 22 février 2019, ils se sont exprimés clairement pour dire qu’on ne veut plus du système du trafic, du bourrage et de tout ce qui est artificiel. Je l’ai dit plusieurs fois, le système politique algérien va obligatoirement dans une dynamique de changement, et cela ne dépend pas de la volonté d’une ou deux personnes, mais c’est un mouvement historique qui va lui imposer ce changement. Et ce changement-là est déjà apparu hier par le respect de l’urne. Ce n’est pas le boycott qui a fait respecter l’urne mais c’est le changement de l’état d’esprit de la population qui oblige le pouvoir à reconnaître les chiffres tels qu’ils sont et non plus comme il les changeait auparavant.
Comment analysez-vous la faible participation au référendum ?
Ce taux très bas révèle un grand malaise politique dans la société algérienne. En tout cas, cela signifie que jusqu’à présent les outils de la démocratie n’ont pas été utilisés par les Algériens, et dont la raison essentielle est que le vote jusqu’ici avait perdu sa signification à cause de la fraude. Tant que le pouvoir trafiquait, les Algériens ne voulaient pas aller aux élections, y compris ce référendum-là.
De plus, à la suite du Hirak, il y a une partie de la population qui a appelé au boycott. Par conséquent, dans ce taux d’abstention, il y a une partie qui relève du boycott, comme une autre partie relève d’une abstention passive. Et c’est, à l’avenir, l’un des problèmes fondamentaux à gérer et à régler pour l’Algérie. C’est-à-dire comment ramener dans le jeu politique la majorité des Algériens. Troisième leçon : parmi le corps électoral qui s’est exprimé, les 2/3 ont voté pour le projet de Constitution. Cela va avoir des conséquences, parmi lesquelles les plus rapides, figureront le changement de la loi électorale et la convocation du corps électoral pour une élection de l’Assemblée populaire nationale après la dissolution de l’actuelle. Et l’élection du nouveau Parlement sera probablement l’occasion de reconfigurer la classe politique sur la scène nationale.
Des chiffres sur la participation, il ressort que seulement 5 millions d’Algériens ont voté durant ce scrutin, dont 3,3 millions ont dit oui à la nouvelle constitution. Cela est-il suffisant pour le rendre crédible ?
Sur cette question de crédibilité, je pense qu’il sera difficile de remettre en cause les chiffres du scrutin. S’il y avait eu fraude, je pense qu’ils auraient mis la barre à au moins 35 ou 40 %. Sur ce plan-là, il est clair qu’on va travailler sur le réel. Maintenant, est-ce que ce scrutin est suffisant pour donner de la légitimité à la Constitution, les avis peuvent diverger. Sur le plan purement légal, il est évident que la Constitution est adoptée. Sur le plan politique, il est clair qu’il y a un déficit de participation. Cependant, je rappelle que les précédentes réformes constitutionnelles se sont faites par un Parlement issu de la fraude électorale, et non pas par le référendum. Je ne pense pas que cette Constitution soit moins valide que les précédentes qui étaient adoptées par le trafic.
Peut-on parler d’échec du scrutin ? Si oui qui est en est responsable ?
C’est l’échec politique de l’Algérie depuis 20 ans. On ne peut pas juger d’une action en l’extrayant de son contexte et des problèmes qui se sont accumulés. Sauf à dire qu’à partir du 2 novembre la page est tournée et tout est nouveau, ce qui n’est pas vrai. Nous vivons encore dans une certaine continuité du régime Bouteflika, il y a une présence des cercles de Bouteflika qui sont toujours là avec l’Assemblée populaire nationale et les assemblées locales et tous ceux qui étaient autour du régime. Mais vingt ans ne s’effacent pas en six mois.
Quelle a été votre position de votre parti vis-à-vis du référendum du 1er novembre ?
Notre position a été de laisser aux citoyens le choix de voter comme ils le souhaitaient. On n’a pas demandé à voter ni pour le oui ni pour le non.
Dans quelle mesure la maladie du président de la République, qui est hospitalisé en Allemagne depuis mercredi dernier, a-t-elle pesé sur le scrutin ?
Je pense qu’il y a la maladie du président mais aussi la crise sanitaire et économique… En politique, on ne peut pas extraire un élément et tout construire dessus. Il y a un faisceau d’événements parmi lesquels la maladie du président. Il y a une inquiétude au sein de la société algérienne, il y a des questionnements et des peurs et c’est à tout cela qu’il va falloir travailler pour les dépasser.