Des élections législatives anticipées ont eu lieu samedi 12 juin en Algérie. Plus de 24 millions d’électrices et d’électeurs étaient appelés aux urnes pour élire les nouveaux députés de l’Assemblée populaire nationale (APN), chambre basse du Parlement.
Selon le président l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) Mohamed Charfi, le taux « moyen » participation était de 30,2 % à la fermeture des bureaux de vote à 20H00.
Deux wilayas du pays, Bejaia et Tizi Ouzou ont enregistré moins de 1 % de participation. « C’est un message à travers lequel le peuple annonce au pouvoir son rejet de tout le processus emprunté après le déclenchement du Hirak le 22 février 2019 », estime Ahmed Betatache, spécialiste en droit constitutionnel.
“M. Charfi a tenté d’amortir le choc de l’abstention”
Le taux de participation était de 14,74% à 16h00 et de 10,02 % à 13h00. « A mon avis, le président de l’ANIE (Mohamed Charfi, ndlr) a tenté hier soir d’amortir le choc (provoqué par la faiblesse participation) et s’est évertué à donner des chiffres ‘’pare-chocs’’ au point d’inventer un terme qui n’existe dans aucun système électoral en l’occurrence « la moyenne de taux de participation ». Soit le total des taux de participation dans chaque wilaya divisé sur le nombre de wilayas. Or, ce taux n’a aucune signification légale, politique ou arithmétique. « Il est en effet inconcevable d’établir une moyenne entre une wilaya où le fichier du corps électoral compte 2 millions inscrits et une autre wilaya qui compte 20 000 inscrits sur la liste électorale », relève le constitutionnaliste.
« Dès lors que l’ANIE avait disposé dès hier soir des chiffres provisoires du nombre des participants dans chaque wilaya, elle aurait pu présenter le nombre des participants et les taux de participation », reprend-il.
Et d’asséner que si l’ANIE ne l’a pas fait « c’est parce que le choc a été grandiose ». M. Betatache n’exclut pas que « le retard dans l’annonce des chiffres sert à manipuler les chiffres, comme c’est désormais l’habitude ».
L’ancien député du FFS prévient que « si le pouvoir persiste à continuer sur sa feuille de route, les choses vont se compliquer avec un risque de pourrissement ».
« Cependant, si le pouvoir tire une leçon de ces élections, il sera obligé d’ouvrir une nouvelle page en amorçant un dialogue réel et responsable avec tous les acteurs et qui débouchera vers une véritable transition démocratique », propose-t-il.
Pour le président de l’Association RAJ, Abdelouhab Fersaoui, le scrutin législatif de samedi « est disqualifié d’office de par les conditions dans lesquelles il s’est déroulé ».
Et d’évoquer des « interpellations et le placement en garde à vue de nombreuses personnes dont les plus connues sont Karim Tabbou et les journalistes Ihsane El Kadi et Khaled Drareni, mais aussi des avocats à l’instar de Me Nabila Smail et Me Mostefa Bouchachi ».
Auxquels il faut ajouter « plus de 200 détenus d’opinion qui croupissent en prison », rappelle M. Fersaoui. « Une élection démocratique s’effectue dans un climat serein, de liberté et d’exercice réel des libertés. Malheureusement, cela n’a pas été le cas durant le dernier scrutin », déplore-t-il.
Ces législatives « sont un autre rendez-vous raté », estime encore le président du RAJ Pour qui la crise en Algérie « est politique et la solution ne peut être que politique ».
Or, poursuit-il, « organiser des élections dans le contexte actuel ne fait qu’aggraver la situation et prolonger la crise ». « L’assemblée qui sera issue de ces élections sera la plus fragile et la plus discréditée depuis l’indépendance », estime le président de RAJ.
“Le pouvoir prendrait-il acte de l’échec de sa feuille de route?”
Le Hirak « reste toujours un acteur incontournable à toute solution politique », martèle Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH).
« Malgré l’escalade de la répression qui s’est abattue sur le Hirak ces derniers mois, le taux de rejet des législatives et de la feuille de route politique du pouvoir est plus de 70 % ; dès lors, le Hirak pacifique, national et pro démocratie garde la majorité », estime le militant des droits de l’homme.
Said Salhi se pose la question si le « pouvoir prendrait-il acte de l’échec de sa feuille de route autoritaire ? Se ressaisira-t-il pour amorcer un nouveau processus politique réellement démocratique ? ».
Selon le vice-président de la LADDH, la situation politique « n’a pas changé, pire elle se complique et perdure », alors que les « défis sociaux prennent de l’ampleur » en Algérie.
« Ce n’est pas avec ce Parlement, ni avec ce gouvernement que le pouvoir y fera face. Le Hirak devrait prendre acte de la nouvelle situation, s’organiser davantage, le combat pour le changement démocratique et pacifique s’annonce long et encore rude », conclut Saïd Salhi.