Les magistrats, greffiers et avocats d’Alger ont tenu, ce jeudi 21 mars, un sit-in de protestation pour dénoncer les pressions exercées sur les magistrats et plus particulièrement, la suspension du président de la chambre correctionnelle du tribunal de Sidi M’Hamed, Meslem Abdelkader.
Selon les participants au rassemblement, le juge a été suspendu de ses fonctions après avoir refusé d’exécuter « des instructions » visant à « faire condamner » des manifestants pacifiques interpellés lors de la marche du 15 mars à Alger.
Le juge Meslem Abdelkader a pris la parole pour remercier les participants au sit-in. « Nous allons continuer jusqu’à l’indépendance totale de la justice », a-t-il également déclaré.
Le rassemblement des magistrats et des avocats auquel ont pris part des noms célèbres de la défense, comme les avocats Mokrane Ait Larbi et Mustapha Bouchachi, a débuté par l’hymne national et la prise de parole du Procureur du tribunal de Sidi M’hamed.
« Nous nous tenons aujourd’hui comme un seul homme pour vous dire que le chemin sera difficile. L’indépendance de la justice ne se fera pas avec des slogans creux et des déclarations à la presse. L’indépendance de la justice est d’abord une conviction à laquelle il faut croire et pour laquelle il faut être prêt à faire des sacrifices même si c’est à ses dépens. Nous nous tenons comme un seul homme pour répéter ce qu’a dit un des révolutionnaires : ‘’le colonialisme est un cancre, il n’apprend pas des leçons de ses prédécesseurs’’ », a déclaré le magistrat.
« Nous disons et assurons que l’Algérie d’après le 22 février refuse catégoriquement qu’il soit dicté au juge des instructions, quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent », a poursuivi le procureur avant d’appeler ses collègues juges et avocats à « refuser toute instruction ou orientation » lors de leurs prises de décisions.
« Juges, mes collègues de la défense, nous vous disons n’ayez pas peur, le peuple algérien vous soutient pour que la justice algérienne soit indépendante. Je vous invite à refuser toute instruction ou orientation dans l’établissement de vos jugements », a-t-il appelé.
Pendant leur rassemblement de protestation, les magistrats ont annoncé la création du Club des magistrats algériens dont il était question depuis 2016 mais dont le lancement a été empêchée par des « pressions ».
« Rendez le pouvoir au peuple ! »
De son côté, le bâtonnier des avocats d’Alger Silini Abdelmadjid a tenu une conférence de presse dans laquelle il s’est exprimé sur le mouvement de protestation populaire et l’engagement des avocats en faveur du mouvement et des manifestants pacifiques interpellés.
« Le peuple a recouvré sa souveraineté, c’est une nouvelle indépendance », a affirmé le bâtonnier, pour qui « l’Algérie d’après le 15 mars n’est plus celle d’avant ».
La dernière journée de manifestation est « inédite à travers le monde » car, selon lui, « 17 millions d’Algériens ont marché » ce jour-là. La défense « ne peut pas se présenter comme étant le porte-parole du mouvement », a indiqué le bâtonnier pour qui « personne ne peut prétendre parler au nom du mouvement citoyen ».
Revenant sur la tentative de candidature d’Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle, l’avocat a affirmé que c’était « un faux et usage de faux » et que le certificat médical utilisé et attestant de l’apptitude physique du candidat à accomplir les missions présidentielles était « un faux ».
« Nous avons demandé au Conseil constitutionnel de refuser la candidature d’Abdelaziz Bouteflika », a assuré Me Silini rappelant qu’« il y a eu une lettre de candidature et, plus tard, une lettre où il dit qu’il n’a jamais eu l’intention de briguer un cinquième mandat ».
La réaction judiciaire à ce « faux et usage de faux » aurait dû provenir des procureurs, selon Me Silini pour qui « le procureur a l’obligation statutaire de s’autosaisir et d’actionner des poursuites », dans ce genre d’affaires, a-t-il affirmé.
Le bâtonnier d’Alger a réaffirmé le soutien des avocats au mouvement populaire contre le pouvoir. « Nous sommes avec le mouvement et nous disons aux décideurs qu’ils ne peuvent pas confisquer la parole du peuple », a-t-il dit à ce sujet.
« Tous ceux qui ont appartenu à ce régime doivent se retirer », a poursuivi Me Silini. « Rendez le pouvoir au peuple ! Il n’en peut plus de vous ! », a lancé l’avocat à l’adresse des tenants du pouvoir.
Revenant sur les pressions exercées sur les juges, l’avocat a affirmé que « le juge, lorsqu’il a libéré les manifestants, il a été suspendu […] ils veulent des juges qui répriment, y compris les manifestants pacifiques ».
Pour la situation légale du pouvoir en Algérie actuellement et après le 28 avril, date à laquelle arrive le mandat de Bouteflika à son terme légale, Me Silini a expliqué que « la Constitution actuelle est celle d’un parti unique, d’un pouvoir unique et elle ne contient pas les mécanismes qui puissent sortir l’Algérie du pétrin ».