Mouloud Hamrouche a rompu le silence. Dans une contribution de deux pages publiée, dimanche 13 janvier par El Watan, l’ancien chef du gouvernement a livré sa vision de l’Etat, de l’exercice du pouvoir et du rôle de l’armée.
Cette sortie n’a pas permis de dissiper l’épais brouillard qui entoure la scène politique à trois mois de l’échéance présidentielle. Ses messages sont cryptés, difficiles à déchiffrer.
Sans déroger à sa règle, Mouloud Hamrouche s’adresse uniquement aux décideurs du pays. Ancien militaire, Hamrouche est un homme issu du système, qui connait bien son fonctionnement. Pragmatique, sa contribution est truffée de messages codés, avec des rappels historiques depuis le XVI siècle, destinés à quelques initiés bien placés au sein du régime. Rien de nouveau. Les gens du système ont l’habitude de se parler entre eux.
Mouloud Hamrouche ne s’adresse donc pas au peuple. C’est une certitude. En évoquant « le modèle de l’Etat Westphalien du XVIII », la grande réforme allemande de l’église ou encore la révolution française, il est clair que sa cible n’est pas l’Algérien lambda. Pourquoi ? Est-ce que les Algériens ne méritent-ils pas d’être associés aux débats qui concernent l’avenir de leur pays ? Est-ce qu’il considère que les Algériens n’ont aucun rôle joué pour trouver des solutions à la crise qui menace le pays ? Pour lui, le « peuple » n’est pas encore un acteur capable de peser sur les choix politiques. Un choix et une vision du débat politique qu’il semble assumer dans ses rares sorties publiques de ces dernières années.
A qui parlent précisément Mouloud Hamrouche ? En 2014, à la veuille du scrutin présidentiel, il avait demandé publiquement aux trois décideurs, à savoir le président Bouteflika, le chef d’état-major de l’ANP Ahmed Gaid Salah, et le patron du DRS Mohamed Medienne, dit Toufik, de mener la transition. Il n’a pas été écouté. Aujourd’hui, après le limogeage de Toufik en 2015, logiquement, il ne reste que Bouteflika et Gaid Salah. Son message leur est visiblement destiné, mais il parle particulièrement au second, qui dirige l’armée. Dans sa contribution, Mouloud Hamrouche met en garde contre la disparition de l’armée, si cette dernière continue d’intervenir dans le champ politique.
“Des expériences et des études, y compris dans de vieux pays structurés socialement et démocratiquement, où l’armée avait servi de base un temps pour gouverner, ont démontré que cela nuit à sa mission et à sa finalité. De même que cela brouille ses rapports avec la société, menace ses articulations et son organisation, affaiblit sa cohésion et sa discipline”, écrit-il.
Mouloud Hamrouche avertit aussi contre “le pouvoir de l’ombre”, sans aller plus loin, ni dire qui est visé. “Tout pouvoir de secte, d’ombre ou d’influence non identifié qui échappe à tout contrôle est une menace traîtresse contre l’Etat et ses trois fondements “la liberté, l’indépendance et la souveraineté”, écrit-il. Et d’appuyer : “Des forces comportementales émotionnelles antigouvernance, antisociales et antisociétales ont démontré par le passé qu’elles étaient en mesure de contrer les lois et les décisions de régulations et de redressements. Elles sont des survivances de la période soumission/insoumission”.
Dans le débat enclenché par la contribution de Ali Ghediri sur le rôle de l’armée, Mouloud Hamrouche semble plutôt pencher du côté de Gaid Salah, en mettant en garde contre l’implication de l’armée dans le jeu politique, comme le réclamait le général-major à la retraite. Ce qui a valu d’ailleurs à ce dernier une violente mise en garde du chef d’état-major de l’ANP, qui s’en est pris à trois reprises, en moins de dix jours, pour bien se faire entendre et comprendre.
Autre question : pourquoi Mouloud Hamrouche a choisi de parler maintenant ? S’agit-il d’une alerte aux décideurs pour qu’ils prennent les mesures nécessaires afin d’éviter un effondrement de l’Etat ? A-t-il senti, qu’en l’absence d’arbitrages au sein du régime, la crise pouvait déborder dans la rue ? Ou bien pour montrer aux décideurs qu’il existe une alternative sérieuse et pacifique pour entamer la transition au moment où le régime semble en panne de solutions ? Une offre de service de sa part ?
Dans sa contribution, Mouloud Hamrouche ne dit rien sur ses ambitions politiques. Il prend également le soin de ne pas évoquer directement les sujets qui peuvent fâcher les destinataires de ses messages, comme la corruption endémique, l’implication de l’armée dans la démission de Chadli il y a exactement 27 ans, presque jour pour jour. Il pense peut-être qu’il reste une dernière chance aux décideurs pour réformer le système et sauver le pays. Avec lui aux commandes ?
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