À l’approche de l’échéance présidentielle du printemps prochain, l’Algérie suscite de nouveau la curiosité des observateurs et des analystes étrangers. Les premiers à livrer leur diagnostic, médias et think-tanks confondus- ce n’est sans aucun doute qu’un début-, sont des anglo-saxons.
Ainsi que c’est souvent le cas, leur lecture des événements est sans aucune concession. Elle associe des considérations politiques et économiques pour dresser un bilan aux couleurs très sombres de la situation de notre pays.
Dimanche, c’était le « Financial Times », considéré couramment comme la bible des milieux financiers internationaux, qui prenait clairement position, dans un éditorial, contre un cinquième mandat du président Bouteflika.
« Garder M. Bouteflika en tant que président de figuration, qui sera approuvé pour un cinquième mandat lors d’élections qui ne méritent pas ce nom, reporte ce qui pourrait être une bataille de succession dangereuse », estime le comité de rédaction du quotidien économique britannique.
Il met en garde les gouvernements occidentaux qui « seraient myopes de penser que la stabilité à laquelle M. Bouteflika a présidé est autre chose que fragile. Rien qu’une nouvelle baisse des prix de l’énergie plongerait l’économie dans une crise mettant à l’épreuve la capacité du régime à acheter la paix sociale ».
« Une économie algérienne réfractaire aux réformes »
Le point de vue du célèbre journal londonien suit de peu les analyses livrées la semaine dernière par l’« International Crisis Group » dont le président Robert Malley résumait pour TSA les conclusions essentielles. Dans un constat sans complaisance, il décrit « une économie algérienne réfractaire aux réformes qui tourne au ralenti, et une passation de pouvoir incertaine à l’horizon ».
Pour Robert Malley, « le modèle économique actuel, celui grâce auquel l’Algérie a pu vivre une période de stabilité et de prospérité remarquables depuis la fin de la guerre civile, n’est plus viable. La situation économique qui l’a en grande partie rendu possible (prix du pétrole au beau fixe, notamment) n’est plus de mise. Sans réforme, le modèle s’essoufflera ».
Un statu quo intenable
En réalité, il y a au moins un point sur lequel les observateurs étrangers tombent d’accord avec les responsables gouvernementaux algériens. C’est sur le caractère intenable du statu quo économique actuel.
Si on voulait en avoir une nouvelle preuve, il suffit de se reporter aux dernières déclarations du ministre des Finances. « L’État ne pourra pas financer le déficit du budget à partir de 2023 », a prévenu lundi 19 novembre Abderrahmane Raouya devant les membres de la commission des Finances du Sénat.
On a un peu oublié aussi que le Premier ministre lui-même n’est pas loin de partager cette analyse. Dans un de ses rares élans de sincérité, Ahmed Ouyahia annonçait en juin 2017 des « années très compliquées », relevant que « le pays tient encore l’équilibre grâce aux réserves de change qui vont en s’amenuisant du fait de la chute des prix du pétrole ». Il ajoutait que « l’Algérie est confrontée à des défis et si on ne se remet pas debout sur le plan économique, on risque de se retrouver en 2024-2025 chez le FMI et ce sera la tronçonneuse ».
Tout se passe aujourd’hui comme si l’Algérie n’avait qu’une « stabilité » précaire à présenter à l’opinion nationale et internationale en guise de projet économique et politique. Force est de constater que notre pays ne dispose plus d’aucun programme économique crédible et viable. La stratégie du gouvernement, il s’en cache à peine, est essentiellement dilatoire. Il s’agit de gagner du temps en attendant la mise en œuvre de réformes économiques complexes et douloureuses qui sont continuellement ajournées.
Concours de pronostics sur la date de la crise
Dans ce contexte étouffant, le débat sur l’avenir de notre pays semble se réduire de façon croissante à un concours de pronostics sur la date à laquelle surviendra la crise qui accélérera la fin du modèle rentier.
L’année 2019 pourrait bien être celle de « tous les dangers » pour l’International Crisis Group. « Malgré les promesses des gouvernements successifs de faire des réformes et de rééquilibrer les finances publiques, la paralysie politique a fait obstacle à toute mesure décisive », s’est-il inquiété dans son dernier rapport. « Cette paralysie est renforcée par l’incertitude autour d’une candidature du président Bouteflika à un 5e mandat en avril prochain ».
« Les autorités reconnaissent que le modèle actuel est à bout de souffle mais peinent à le corriger », souligne le rapport, regrettant que les réformes économiques « ont eu tendance à être reportées ». En dépit du “rétablissement du cours du pétrole, la crise économique pourrait frapper le pays dès 2019” et “se greffer aux tensions entourant la présidentielle », avertit le think-tank américain, dirigé par un ancien conseiller de Barack Obama.
Le gouvernement algérien est un peu plus optimiste. Selon Abderrahmane Raouya, ce sera donc plutôt 2023. Si on en juge par ses déclarations des derniers jours devant les sénateurs, les finances publiques sont pour l’instant « protégées » par le recours à la planche à billets.
Le financement non-conventionnel a été adopté « sur une période exceptionnelle de 5 ans, de 2017 à 2023 », a rappelé le ministre des Finances. « Il doit rester temporaire selon la nouvelle Loi de la monnaie et du crédit. C’est pour cela que les équilibres économiques sur la période 2019-2021 seront caractérisés par la stabilité afin de pouvoir entrer après l’année 2021 dans la phase de croissance » a expliqué de façon un peu sibylline M. Raouya .
On a bien compris que pour Ahmed Ouyahia, ce sera plutôt 2024 ou 2025. Avec un soupçon d’optimisme, le Premier ministre semble considérer que le niveau de nos réserves de change, dont la consommation jusqu’au dernier dollar donne l’impression d’être devenu le seul horizon de la politique du gouvernement, pourrait nous conduire jusque cette date éloignée. Mais il pourrait se passer tellement de choses d’ici là, comme par un exemple un effondrement brutal des prix du baril.
2019, une nouvelle année perdue pour les réformes économiques
En attendant, on peut être déjà certain d’une chose : l’année 2019 sera une nouvelle année perdue pour les réformes économiques en Algérie.
À la fin de l’année dernière, on avait été surpris par une annonce, et une promesse, du gouvernement dirigé par Ahmed Ouyahia à propos de l’année 2019. La trajectoire budgétaire annexée à la Loi de finance 2018 promettait très solennellement, sans doute pour faire passer la pilule d’un gonflement considérable des dépenses publiques : « Un retour à la discipline budgétaire dès 2019 avec des dépenses qui devraient être réduites à 7.500 milliards de dinars en 2019 (contre 8600 milliards de dinars prévus cette année) ». Le déficit du trésor public devait dans ces conditions disparaître presque complètement pour atteindre 55 petits milliards de dinars seulement en 2019.
À en croire les engagements du gouvernement, l’exercice 2019 s’annonçait donc comme une grande année de réforme économique au cours de laquelle on devait commencer non seulement à réaliser l’ajustement budgétaire et l’élimination des déficits attendus depuis 2014 mais également la grande « réforme de structure » du système de subventions qui domine les politiques publiques depuis plusieurs décennies.
On connait la suite. Les députés viennent de voter un budget pour 2019 qui maintient les dépenses publiques au même niveau qu’en 2018 et qui prévoit un déficit colossal de plus de 2000 milliards de dinars. Quand à la réforme des subventions, le gouvernement a promis d’y réfléchir pour 2020 .