CONTRIBUTION. Suite à la parution de l’article contribution de Monsieur El Korso Professeur associé à l’Université Alger 2, ancien sénateur et ancien Président de la Fondation du 8 Mai 1945, nous vous adressons le droit de réponse suivant :
Comment Monsieur El Korso peut-il accuser Messali Hadj d’être à l’origine de l’implosion du MTLD ? Comment peut-il affirmer que Messali Hadj “a été aveuglé par son égo” à la veille du 1er Novembre 1954 ?
A l’origine de l’implosion du MTLD, il y a des causes politiques que Monsieur El Korso en sa qualité d’historien ne peut ici ignorer.
Encore faut-il s’interroger sur les inclinaisons politiques de Monsieur El Korso, marquées fortement par les idées de l’Association des Oulémas qui pour rappel était depuis le Congrès Musulman de 1936 à 1956 hostile à l’Indépendance et était partisan du rattachement de l’Algérie à la France.
Fallait-il en passer par des propos calomnieux voir insultant à l’adresse d’un homme qui en 76 ans de vie n’a eu que 25 ans de liberté ?
Profiter de la conjoncture actuelle, d’un soulèvement du peuple sans précédent dans l’Histoire de l’Algérie contemporaine pour donner un dernier coup de poignard dans le dos à Messali Hadj est scandaleux !
Comment pouvez-vous Monsieur El Korso en tant que Professeur d’histoire des universités continuer à répandre encore à l’heure actuelle et depuis tant d’années cette propagande nauséabonde et qui est un faux grossier malgré les nombreuses publications historiques publiées sur le sujet hors système algérien ?
Vous êtes à double titres Monsieur El Korso parmi les derniers relais de l’idéologie de la propagande de ce système historico- politique :
– vous êtes de ceux qui ont inventé un parcours révolutionnaire indépendantiste au profit du camp politique réformiste assimilationniste en particulier la formation politique des Oulémas dont vous incarnez l’idéologie
– vous avez servi de ‘’faire valoir’’ au régime du parti unique en produisant un récit historique au service de l’idéologie dominante qui vous a gratifié de responsabilités politiques et remercié par un poste de sénateur qui parachève votre long parcours du mensonge.
Vous serez comptable devant l’Histoire et le peuple algérien ainsi que devant les étudiants en histoire d’avoir participé à les déposséder de leur mémoire, d’avoir inventé une histoire monolithique, lisse, homogène dont les évènements qui se succèdent s’emboitent les uns dans les autres sans heurts ni contradictions alors que l’Histoire est en réalité complexe, plurielle, non linéaire et dont la continuité se caractérise par des ruptures. L’historien a pour devoir de rétablir et de permettre au peuple algérien de se réapproprier sa mémoire collective et lui permettre ainsi d’y puiser les valeurs fondatrices et les principes du futur État algérien moderne et démocratique. C’est dans ce contexte révolutionnaire et inédit que le peuple réclame ses droits et la liberté, vous, les derniers thuriféraires du régime du parti unique serez emporté par ce tsunami démocratique.
Nous ne pouvons pas laisser diffamer ainsi un symbole choisi et repris par la jeunesse lors des manifestations d’aujourd’hui dont le portrait ainsi que des extraits de ses discours ont été brandis spontanément par centaine d’Est en Ouest du pays.
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La crise politique au sein du MTLD débute dès le début des années 50 jusqu’à son terme en 1954. Il ne s’agit pas d’une querelle de personnes, ni d’une crise d’égo. Il s’agit d’une crise politique profonde et majeure concernant la ligne politique du MTLD qui opposera Messali Hadj au Comité Central. Les membres du Comité Central sont appelés les ‘’centralistes’’
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques /MTLD fondé en 1946 suite à la dissolution du Parti du peuple algérien/PPA par les autorités coloniales représente dans le paysage politique algérien le seul parti qui lutte pour arracher l’indépendance de l’Algérie.
Tous les autres partis politiques, le Parti communiste algérien/ PCA, l’Union démocratique du manifeste algérien/ UDMA, l’Association des oulémas musulmans algériens ont pour principale revendication politique commune : le rattachement de l’Algérie à la France.
Dès 1936 ils se constituent en un bloc commun réformiste qu’ils nommeront le Congrès Musulman avec pour objectif principal de négocier avec la France et ainsi mieux porter leurs revendications assimilationnistes.
Le MTLD n’est en réalité que la face légale d’un parti révolutionnaire clandestin Parti du peuple algérien/ PPA et de l’Organisation Spéciale/ OS fondé en Février 1947 qui constitue son bras armé clandestin. L’OS crée sous la houlette de Messali Hadj est une organisation paramilitaire clandestine chargée de préparer le passage à la lutte armée.
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques/ MTLD (thème ô combien d’actualité …) n’est en réalité qu’un seul et même parti depuis la fondation de l’Étoile Nord-Africaine en 1926, puis le Parti du peuple algérien/ PPA en 1937. Tous ces sigles qui se sont succédés s’expliquent par les différentes dissolutions prononcées et exécutées par la justice coloniale. Le programme politique n’a pas varié depuis 1926 et a été reconduit par les différents congrès, soit :
-Indépendance totale de l’Algérie
-Retrait total des troupes d’occupation
-Constitution d’une armée nationale
-Gouvernement national révolutionnaire
-Assemblée constituante élue au suffrage universel
-Le suffrage universel à tous les degrés et l’éligibilité dans toutes les assemblées pour tous les habitants de l’Algérie
-La langue arabe sera considérée comme langue officielle
-La remise en toute propriété à l’État algérien des banques, des mines, des chemins de fer, des ports et des services publics accaparés par les conquérants
-La confiscation des grandes propriétés accaparées par les féodaux alliés des conquérants, les colons et les sociétés financières et la remise de la terre confisquée aux paysans. Le respect de la moyenne et la petite propriété. Le retour à l’État algérien des terres et forêts accaparées par l’État français
-L’instruction gratuite, obligatoire à tous les degrés en langue arabe
-La reconnaissance par l’État algérien du droit syndical, de coalition et de grève, l’élaboration par lui des lois sociales
-Aide immédiate aux fellahs par l’affectation à l’agriculture de machines, semences et d’engrais, organisation de l’irrigation et amélioration des voies de communication
Les militants pionniers de l’Étoile Nord-Africaine/ ENA sont des prolétaires immigrés en France. Leur conscience politique de sous-prolétaires est structurée par le Code de l’indigénat (justice administrative qui s’applique aux seules ‘’indigènes’’ et qui de fait ne respecte pas les principes généraux du droit français en autorisant par exemple des sanctions collectives, des déportations d’habitants sans défense ni possibilité d’appel). Leur apprentissage politique est accompagné par les mouvements syndicalistes et le Parti Communiste naissant. La plupart d’entre eux ne savent ni lire ni écrire. Cette génération d’éveilleurs de la conscience nationale complètera son éducation politique par le militantisme et en s’impliquant dans les luttes syndicales .Pour rappel, cette période des années 20/30 est marquée par un vent révolutionnaire : Révolution bolchévique russe de 1917, proclamation au Maroc en 1922 par l’Émir Abdelkrim El Khattabi de la République confédérée des tribus du Rif, première république en terre d’islam issue d’une guerre de décolonisation, Révolution kémaliste en Turquie par Atatürk , Ligue Spartakiste en Allemagne.
Ce mouvement indépendantiste est structuré organiquement à l’instar du parti communiste : il est doté d’un bureau politique, d’un Comité Central, d’un journal et d’un président Messali Hadj reconduit démocratiquement par les votes des différents congrès qui se sont succédés.
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques/ MTLD (1946-1954) voit quant à lui arriver une nouvelle génération de militants au début des années 50 qui remplacent à la direction du parti les pionniers de l’ENA et du PPA. Ces nouveaux membres de la direction du MTLD sont sociologiquement issus de la petite bourgeoisie citadinisée. Dans sa stratégie de domination, le colonialisme a voulu former dès le début du XXème siècle des cadres ‘’indigènes’’ (médecins, pharmaciens, avocats, oukils judiciaires, instituteurs etc…) pour leur permettre de mieux contrôler et encadrer les masses musulmanes. Leur conscience politique de petits bourgeois qualifiée par les historiens ‘’d’indigènes évolués’’ et leur degré d’instruction, leur permettent d’obtenir rapidement des postes de responsabilités au sein du parti. Ils intègrent le parti et sa direction avec la volonté d’en modifier la ligne politique. Leur combat sera celui de créer à tous prix une alliance avec les autres partis réformistes en abandonnant la voie révolutionnaire. Ils n’ont pas osé quitter la direction du parti pour rejoindre individuellement les partis réformistes de peur d’être mal jugé par la base militante.
La responsabilité des membres du comité central est d’avoir entrainé un parti révolutionnaire dans la voie réformiste afin de créer le Congrès National algérien qui n’est autre que la réplique et ainsi la continuité du Congrès Musulman de 1936 dont la principale revendication se résume au rattachement de l’Algérie à la France (manifeste remis au gouvernement français en Juillet 1936).
Alors qu’au même moment la Tunisie et le Maroc s’engagent dans la lutte armée, le comité central du parti reste sourd et silencieux, n’émet aucune déclaration politique de solidarité et n’organise aucune action pour porter, amplifier, galvaniser le peuple algérien afin de l’entrainer dans cette ultime phase du combat libérateur du Maghreb. De facto, il n’y a donc aucune volonté de mise en marche du parti dans cette voie. Les plus influents d’entre eux occupent des postes de conseillers municipaux et ou d’adjoints au maire d’Alger, Jacques Chevalier, dont la volonté est de casser littéralement la dynamique révolutionnaire du seul parti indépendantiste algérien qui pose problème quant à la pérennité du joug colonial. Les autres partis du camp réformiste ne remettant pas fondamentalement en cause les fondements des structures coloniales, ils ne constituent donc pas un obstacle politique important. Les membres du comité central mènent grand train : ‘’les pachas’’ comme les nomme Messali Hadj se réunissent à l’hôtel Aletti , ont des voitures avec chauffeurs et votent au Conseil Municipal d’Alger avec Jacques Chevalier les mesures et accompagnements de la mise en place de la politique néocoloniale (par exemple : déplacement de la population musulmane de la haute Casbah vers les faubourgs d’Alger) . Pour ainsi dire, la mise en place d’une stratégie de lutte active en vue de l’obtention de l’indépendance est reléguée aux oubliettes : les cadres de l’OS sont abandonnés à leur sort, les dirigeants qui partagent les positions politiques de Messali Hadj sont écartés de la direction.
Messali et ses compagnons qui défendent sans cesse la même ligne politique révolutionnaire sont minoritaires au niveau de la direction du parti. Être minoritaire n’a jamais constitué pour Messali Hadj le franchissement d’une ligne rouge. Dans son long parcours de militant éternellement emprisonné et malgré les privations et les humiliations il n’a jamais plié ni transigé sur l’axe révolutionnaire libérateur du joug colonial. La ligne révolutionnaire et la plate-forme démocratique qu’il a su impulser à son mouvement dès sa création en 1926 est restée la matrice de son combat et ce jusqu’à son dernier souffle.
C’est donc bien sur un problème politique de fond et non pas sur des querelles ou pour des considérations de mépris des personnes que la lutte et le bras de fer entre Messali et le comité central se fera.
Contre l’avis du comité central, il effectue en 1951 un voyage très important au Moyen-Orient afin d’y chercher des appuis et des alliances avec l’objectif également d’internationaliser la question de l’indépendance algérienne. Il rencontre notamment le Roi Fayçal en Arabie Saoudite, les responsables de la Ligue Arabe au Caire. Il y retrouve aussi L’Émir Abdelkrim El Khattabi en exil qui fonde dès 1947 le Comité de libération du Maghreb arabe pour fédérer les partis qui luttent pour l’indépendance de leurs pays et du Maghreb. Sont membres :
-Pour la Tunisie Vieux et Néo Destour
-Pour l’Algérie Parti du Peuple algérien/PPA
-Pour le Maroc Parti Wahda, Parti Démocratique marocain/Choura, Istiqlal
Les partis du camp assimilationniste (PCA, UDMA, Oulémas) n’en feront jamais partie.
L’Émir Abdelkrim El Khattabi lui facilite l’accès aux académies militaires égyptiennes. Ainsi Messali chargera Boulkeroua d’une mission auprès du Secrétaire Général du MTLD pour qu’il envoie des cadres de l’OS en formation d’entrainement militaire dans ces académies. Le Secrétaire Général n’enverra finalement aucun membre de l’OS en formation militaire et demandera à Boulkeroua s’il en avait parlé à d’autres responsables que lui, et lui ordonnera de n’en faire commentaires à aucun cadre du parti (cf : Aux origines du FLN Mohamed Harbi Ed Bourgois Paris 1981)
Au retour de son voyage en Orient, lors de la réunion du Comité Central son rapport concernant les résultats obtenus sera qualifié par celui-ci ‘’d’anecdotique’’.
Devant la passivité du comité central qui craint des mesures répressives de l’administration coloniale à son égard et toujours contre son avis Messali décide d’entamer une tournée à travers l’Algérie pour galvaniser les foules vers l’objectif de l’indépendance. Sa présence et ses discours enflammés soulèvent des foules immenses à Skikda et Orléanville (Chlef) (Cf : Une Vie debout Mohamed Harbi Ed La Découverte Paris 2001). Face à ces mobilisations de masse, le pouvoir colonial réagit et procède à son enlèvement en Mai 1952 et à son placement en résidence surveillée à Niort en France. L’objectif des autorités françaises est de le couper géographiquement des masses algériennes et de réduire ainsi son champ physique d’action et de l’isoler en laissant un boulevard politique au Comité Central et à ses alliés.
La crise ayant atteint son paroxysme, les centralistes conservent comme stratégie principale l’alliance avec les partis réformistes en vue des prochaines élections. Les deux positions politiques antagonistes sont alors inconciliables.
Messali Hadj depuis son exil forcé et avec des moyens dérisoires adresse alors à la base militante un message dans lequel il dénonce l’orientation contre-révolutionnaire de la direction du parti. Il leur demande d’organiser des comités de salut public afin de relayer sa volonté de reprendre en mains le parti, de redresser la barre et de le remettre à nouveau dans la voie révolutionnaire.
La direction du parti contrôle les finances, les moyens généraux, le pouvoir et le journal. Messali selon les prérogatives du règlement intérieur du parti, appelle légitimement à l’organisation d’un congrès extraordinaire qui réunit 350 délégués à Hornu en Belgique les 14,15 et 16 Juillet 1954 dont les résultats sont :
– la dénonciation et l’exclusion des membres du comité central pour déviationnisme politique
-Réaffirmation du principe révolutionnaire de la ligne politique du parti
-Création du Conseil National de la Révolution algérienne/CNRA afin de mettre en action la lutte armée dans les plus brefs délais
-la nouvelle direction fixe la date du déclenchement de la Révolution par le passage à la lutte armée à fin Décembre 1954-début Janvier 1955
La crise du MTLD trouve ainsi son issue par l’action de redressement politique de Messali Hadj.
Le FLN précède Messali en déclenchant en premier la lutte armée le 1er Novembre 1954 et s’arrogera par la suite la légitimité historique de son déclenchement.
Après le 1er Novembre 1954, le Comité Central dépêche au Caire en toute urgence deux de ses membres M’Hamed Yazid et Lahoual Hocine afin de dissuader les fondateurs du FLN de poursuivre leur action dans la lutte armée.
Peu avant Août 1956 et en vue du congrès de la Soummam, les ‘’centralistes’’ et leurs alliés réformistes (PCA, UDMA et oulémas) intègrent le FLN. Ils occupent d’emblée la direction de la Révolution en devenant les membres responsables du CNRA et du CCE qui forment le pouvoir exécutif du FLN.
Les fondateurs et dirigeants du FLN qui sont au Caire ne sont pas conviés à ce Congrès et sont débarqués de sa direction. Par cette manœuvre les ‘’centralistes’’ et leurs alliés des partis réformistes enfilent l’uniforme révolutionnaire, font oublier les errements de leur parcours politique.
Il ne reste plus qu’à se débarrasser du ‘’grand témoin’’ en l’accusant de trahison à la Révolution et de déviationnisme politique. La prise de décision politique de la liquidation physique des messalistes est entérinée lors du Congrès de la Soummam et sera intégré dans le document de la plate-forme de la Soummam sous la forme citée dans le texte : ‘’Éliminer tous messalistes conscient ou inconscient sous aucune forme de procès’’.
A force d’asséner des contres vérités dans un système politique devenu unique, elles finissent par devenir des vérités
L’Histoire est toujours écrite par les seuls vainqueurs et dans un système où a régné depuis aussi longtemps le parti unique, l’Histoire par la légitimation qu’elle donne est un enjeu de pouvoir. Le débat contradictoire condition essentielle et première qui offre les possibilités d’une écriture sereine de l’Histoire n’a toujours pas eu lieu chez nous en Algérie. Il ne doit pas déboucher sur des règlements de comptes mais plutôt apporter des clarifications et un regard nouveau par la démonstration historique objective. Le peuple algérien qu’on a dépossédé de son histoire et qui n’a eu droit qu’à une Histoire tronquée, à dessein, mérite d’autant plus par son éclatante démonstration et mobilisation des dernières semaines, en rejetant ce système et son idéologie politique, de se réapproprier toute son histoire et d’en assumer dans la sérénité tous ses aspects positifs et négatifs.
Une histoire non assumée est une histoire qu’un peuple est condamné à revivre.
VIVE L’ALGÉRIE LIBRE ET DÉMOCRATIQUE !
– Dr Chékib Benkelfat
Chirurgien Cardiaque à Alger
– Leila Benkelfat
Doctorante en Histoire de l’Algérie Contemporaine Paris I Panthéon-Sorbonne
Petit-fils et petite-fille de Messali Hadj