Les pièces du puzzle du 5e mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika sont assemblées par petits mouvements. Des mouvements graduels qui se sont accélérés ces derniers jours à moins d’une année des élections présidentielles.
Ce jeudi 21 juin, premier jour de l’été, Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND et Premier ministre, a lancé un appel pour le chef de l’État pour se porter candidat au scrutin de 2019, vingt ans après son élection pour le premier mandat de cinq ans.
« Il y a un consensus total pour appeler el moudjahid Abdelaziz Bouteflika à poursuivre sa mission au service de l’Algérie », a-t-il déclaré lors de l’ouverture de la réunion du Conseil national du parti à Alger.
Les membres du Conseil ont applaudi debout cette déclaration. Ouyahia a pris soin de souligner que la position du parti qu’il dirige doit être tranchée ce vendredi 22 juin.
Cela veut dire que le coup de départ pour la pré-campagne de Bouteflika 5 a été bel et bien donné. Ouyahia emboîte le pas à Djamel Ould Abbes, secrétaire général du FLN, qui, à plusieurs reprises, a appelé Bouteflika à se présenter pour un 5e mandat.
Le 7 avril, le SG du FLN a déclaré, à Djelfa, que les militants du parti de la majorité parlementaire souhaitaient que « le président Bouteflika poursuive son œuvre » après l’élection de 2019.
Ould Abbes a évoqué la nécessité de garantir « la sécurité du pays » pour appuyer son appel au président. « Le dernier mot lui revient », a-t-il ajouté.
Appel de Sidi Said au nom des travailleurs
Ould Abbes a même promis de dresser le « bilan des réalisations du président de la République » durant les 20 ans de gestion des affaires de l’État.
Un bilan qui se veut être une réponse « à ceux qui doutent sur la dépense de 1000 milliards de dollars en projets » durant cette période. Ould Abbes, qui a suscité la controverse par ses déclarations, a pris soin d’interdire aux autres membres de la direction du parti d’évoquer publiquement le 5e mandat pour Bouteflika, le temps d’arranger les affaires internes du FLN, secoué par la crise de la mise à l’écart d’une douzaine de membres du Bureau politique (BP), fin mai 2018.
Le 1er mai, à la faveur de la célébration de la fête des travailleurs, Abdelamadjid Sidi Said, secrétaire général de l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens), a annoncé avoir élaboré une motion appelant Bouteflika à se présenter pour un 5e mandat au nom des travailleurs. « Je remets officiellement cette motion spéciale au représentant du président de la République à Noureddine Bedoui, ministre de l’Intérieur », a-t-il déclaré à la tribune et face aux caméras.
Silence du FCE et du MPA
Le FCE, Forum des chefs d’entreprises, qui a appuyé les trois derniers mandats du président Bouteflika et qui s’est allié à l’UGTA, n’a pas encore annoncé sa position politique. Idem pour les autres soutiens habituels du président Bouteflika. Ils n’ont pas dit ce qu’ils pensent de « la continuité » qui apparaît comme un mot d’ordre de ralliement pour appuyer le projet du 5e mandat présidentiel.
Amara Benyounes, président du Mouvement populaire algérien (MPA) et ancien ministre, n’a pas voulu se prononcer ouvertement sur la question. « Le conseil national du parti se réunira en automne prochain pour décider », a-t-il dit. L’université d’été du MPA, qui aura lieu probablement en septembre, devra discuter de la question.
Invité, en avril dernier, de la chaîne France 24, Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, a défendu « l’œuvre grandiose » du chef de l’État. « Une œuvre de reconstruction au niveau national qui a apporté ses fruits. Ce n’est plus l’image qu’on a de l’Algérie des années 1990. C’est une Algérie sereine, apaisée, réconciliée avec elle-même, un pays stable et sûr en plein développement économique. Cette œuvre grandiose doit, de mon point de vue, être poursuivie. Mais, en fait, la décision lui reviendra », a soutenu Abdelkader Messahel disant que le président « vaque à ses occupations, reçoit des invités », malgré son état de santé.
Bouteflika n’a encore rien dit
Messahel rejoint donc Ould Abbes en disant que le dernier mot revient, en fait, à Bouteflika qui, lui, n’a encore rien dit. Est-il réellement intéressé par un 5e mandat ? La continuité, évoquée par ses soutiens politiques, exprime-t-elle son propre souhait ou celui de ses partisans ? Un projet de changement dans la continuité est-il possible ? Pas de réponses pour l’instant.
Le 9 avril dernier, Bouteflika a fait une sortie à Alger, qui a été perçue, par les observateurs, comme un début d’une campagne électorale pour un autre mandat au Palais d’El Mouradia. À cette date, le mot « continuité » (el istimraria) a été bien mis en valeur par l’ENTV. Durant le Ramadan 2018, deux décisions présidentielles ont attiré l’attention.
D’abord, l’annulation des nouveaux tarifs, retenus dans le projet de loi de finances complémentaire pour 2018, des documents administratifs (permis, passeports, etc.)
La deuxième est la distribution de 50.000 logements, toutes formules confondues, dans plusieurs wilayas. Cela a été présenté comme « le cadeau de l’Aïd » du président Bouteflika aux Algériens.
Durant les prochains mois, les mesures qui seront prises par le chef de l’État seront presque toutes inscrites dans ce registre de persuasion électorale et de marketing politique. À défaut de mots forts, Bouteflika parlera par des décisions.
Toujours pas de candidats de l’opposition
Face à lui, il n’y a presque pas de candidats pour la présidentielle de 2019 à neuf mois du scrutin et les voix hostiles au Bouteflika 5 sont faibles pour l’instant dans la sphère publique, audibles sur les réseaux sociaux.
Qu’arrivera-t-il si aucun candidat ne se présente contre Bouteflika en 2019 ? L’opposition pourra-t-elle rassembler ses forces avec un seul candidat capable de renverser la vapeur ? Sur le plan politique, une fatigue nationale est clairement ressentie en absence d’initiatives fortes pouvant changer les donnes et redonner à penser sur les projets alternatifs. Des surprises d’ici 2019 ? Wait and see…