L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer, a diffusé ce dimanche une contribution dans laquelle il s’interroge sur l’armée et son rôle dans le contexte de contestation populaire et crise politique conséquente qui touche le pays depuis quatre mois.
« Il faut reconnaître à cette armée quelque chose d’exceptionnel, sur le plan positif et malheureusement, ambigu, négatif sur le plan de la gestion du pouvoir », estime Hadj Nacer. « L’armée a beau être une Institution respectée par le peuple, le fait que les années 1990 n’aient pas été suivies de changements structurels la retrouve aujourd’hui soumise à des pressions contradictoires », avance-t-il en outre.
« On peut avoir l’impression d’une armée affaiblie par des luttes de personnes, que l’on pourrait confondre avec des luttes d’appareils. Ce n’est pas le cas. L’armée est un collectif, dans lequel se prolongent toutes les couches de la population, et dont le fonctionnement emprunte la voie des consultations et construction de consensus propre au fonctionnement séculaire de la société algérienne », affirme l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, qui indique s’exprimer en tant qu’« intellectuel ».
« Tous les manipulateurs sans exception, tous les acteurs font une pression énorme sur l’Armée algérienne pour qu’elle mette fin au Hirak. Quand on parle des Emirats, il faut bien penser que derrière les Emirats, de toute façon, on retrouvera les Anglo-Saxons et Israël. Derrière Qatar c’est exactement la même chose. Évidemment, il y a aussi la France, l’Egypte, le Maroc… Tous ces gens-là voient la situation avec l’objectif d’en finir, et font des pressions pour que l’Armée s’en charge », indique Abderrahmane Hadj Nacer.
« Il faut rendre hommage et reconnaître à notre armée nationale, du fait de son essence populaire, une détermination à éviter ces pièges grossiers, compte tenu notamment du traumatisme qu’elle a dû assumer, en réagissant de manière inappropriée en 1988 et ensuite en menant une guerre qui a tout de même été une guerre civile, durant la décennie 90 », a-t-il souligné, ajoutant que « la population aussi fait une pression énorme sur l’ANP pour qu’elle la protège de ces interventions extérieures qui visent à casser son mouvement et à reproduire le système de trahison nationale ».
« Le 18e Vendredi, celui du 21 juin et de l’interdiction du drapeau Amazigh, a tenté de semer la discorde. Dans les faits, il a surtout une nouvelle fois confirmé le rejet populaire des prétextes à la haine et une sorte de traçabilité qui relie le vieil argument colonial aux manœuvriers précédemment cités », affirme également Hadj Nacer.
« Que la hiérarchie militaire puisse penser que, par ou au-delà du règlement de comptes, on peut allonger la durée de vie du système antérieur, parce que celui-là a permis d’assurer certains équilibres internationaux et certains équilibres nationaux, démontre à tout le moins que les acteurs d’aujourd’hui n’ont pas compris que l’International, tel qu’il existe dans le contexte actuel, n’est même plus capable d’assurer sa survie et que, de toute façon, le peuple algérien est déjà passé à autre chose », estime l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie.
« Le « Djeich- Chaab, Khawa-Khawa », est un mot d’ordre en marche, qui dit à l’armée : nous, peuple, avons avancé et nous voulons que l’Armée avance, à la même vitesse que nous, nous voulons que le «Djeich » avance, dans la même direction que nous. Parce que nous voulons construire un pays ensemble et savons que, par une armée puissante, la population peut travailler en paix, et grâce à une population puissante, cultivée et majeure, une armée tient. Ce n’est pas par l’appui de l’étranger qu’une armée est légitime et assurée de sa stabilité », écrit Abderrahmane Hadj Nacer.
« Le « Etnaahou Gaa », c’est la volonté d’en finir, de passer à un système qui ne repose plus sur l’armée, qu’il est temps que l’armée se repose sur des institutions légitimes, qui garantissent sa mission historique en tant qu’héritière de l’ALN. Grâce à des instituions civiles sur lesquelles elle peut s’appuyer, plutôt que derrière des institutions paravents qu’elle serait obligée de maintenir de manière artificielle, ou d’en subir les dérives et perversions », affirme Hadj Nacer.
« Ce que veut la population, c’est un mode de fonctionnement où l’armée garde tout son sens, qu’elle soit encore, pour la prochaine période, dans le cœur du système autour duquel sera reconstruit le pays, dont la population a conscience de l’état de détérioration des institutions civiles », estime l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie. « Elle a besoin de sauvegarder, d’approfondir la puissance exemplaire, la puissance évocatrice qu’est pour elle une armée moderne, dans un contexte de troubles internationaux qui ne peuvent que s’accentuer », ajoute-t-il par ailleurs.
« Pour y arriver, la solution la plus sage, au-delà des problèmes formels, c’est d’afficher face au reste du Monde une volonté commune, portée par le peuple et son armée. D’où la nécessité de trouver une personne ou un groupe de personnes consensuelles, en qui la troupe et ses officiers auraient confiance et en qui la population doit se retrouver, dans ses volontés d’émancipation et d’être prise en considération. (A3tiwna gramme qima) Il s’agirait donc à mon avis, de proposer un individu ou un groupe qui permette un compromis inclusif, en premier lieu au sein de l’armée, et fasse que toutes les tendances et diverses forces se sentent partie intégrante, parce qu’il est important d’assurer la sécurité, la pérennité de l’armée pour les prochaines étapes. A cette personnalité ou groupe, reviendra la mission d’obtenir un positionnement politique clair de et pour l’armée, dans toutes ses composantes, pour que l’armée puisse assumer toutes ses responsabilités sans être dans la nécessité de manipuler un pouvoir civil. Il s’agira de définir le rôle de l’Armée et le rôle des Services de Sécurité dans les décisions portant sur les choix fondamentaux du pays. »
« L’affaire Khalifa nous a enseigné une chose : les services étaient au courant de tout. Mais qu’elle est l’utilité de savoir si on ne met pas en place les mécanismes qui nous permettent d’avoir l’accès à l’information et de la gérer avant d’arriver à la catastrophe ? Après l’affaire Khalifa, nous n’avons vu se reproduire que des affaires similaires qui n’ont jamais démontré l’utilité des services de sécurité. Parce que, dans le fond, avec l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, l’affaire de Sonatrach 1 et suivante et toutes les quantités d’affaires actuellement exposées, on se rend compte que l’information était disponible. On ne peut donc dire qu’on n’était pas au courant. Si l’on n’a pas sévi, cela signifie que les services de sécurité que l’Etat algérien, que les citoyens payent ne leur sont pas utiles. »
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